Le fils de l’Ursari

PETIT Xavier-Laurent

Lorsqu’on est un Ursari — un montreur d’ours — et qu’on vit sur l’habitant, faute de faire recette, on ne suscite que dĂ©fiance. De village en village, il faut partir et partir encore dans la boue de l’hiver. Quand Mica — la voiture — rend l’ñme, la vie d’artiste s’embourbe et la famille de Ciprian accepte, moyennant un endettement sans fond, le marchĂ© indĂ©cent que proposent deux hommes en BMW : le dĂ©part pour la France. L’aĂŻeule refuse, l’ours est relĂąchĂ© dans la nature. Bienvenue aux exilĂ©s dans l’Eldorado du bidonville francilien ! Sans papiers, roms parmi les roms et autres dĂ©shĂ©ritĂ©s, ils ont, pour tout viatique, la mendicitĂ© et le vol. Ciprian, le benjamin, mis Ă  contribution, comme ses aĂźnĂ©s, dĂ©couvre au « Lusquenbour » les tables des joueurs d’échec. Fasciné   Comment dĂ©crire sans dĂ©magogie, sans parti pris simplificateur, la misĂšre et ses dĂ©rives insupportables ? L’humour sauve du misĂ©rabilisme ou de l’indignation hostile : l’intĂ©gration au paysage français passe par la maĂźtrise des « zeuros », des portillons du mĂ©tro ou du  « aireuhaire » et par la dĂ©couverte Ă©merveillĂ©e (!) de la Tour Eiffel. Comme un Persan Ă  Paris, Ciprian observe ! C’est d’ailleurs la formule magique de son mentor aux Ă©checs : « ObcomrĂ©jouga. Observer, comprendre, rĂ©flĂ©chir, jouer, et gagner ». Quand le gamin rencontre, Ă  deux pas du SĂ©nat, les joueurs du Luxembourg, le roman bascule avec une joyeuse invraisemblance dans la belle histoire d’une intĂ©gration au talent. Le conte de fĂ©es prend le relais de la peinture sociale. Va-t-on bouder son plaisir ? Deux habituĂ©s du jardin, M. Énorme et Mme Baleine, endossent le rĂŽle de la Providence : truculents et bonhommes, ils donnent un coup de pouce gĂ©nĂ©reux au destin de Ciprian parce qu’ils ont dĂ©couvert en ce gamin dĂ©penaillĂ© autre chose qu’un petit voleur. Le romancier s’amuse et, pour faire durer le plaisir, ne lĂ©sine pas sur le suspense. PortĂ©e par un enfant auquel s’identifier, cette histoire tient l’équilibre entre rĂ©alisme et merveilleux : sans pathos et sans fard, elle parle aux enfants du sort d’autres enfants qu’ils cĂŽtoient tous les jours, sur leur chemin de l’école. Exemplaire, elle n’est pas sans rappeler l’histoire vraie de Fahim, bangladais sans papiers et champion d’échec junior. Dernier clin d’oeil Ă  la rĂ©alitĂ© ou plutĂŽt Ă  un clichĂ© : les meilleurs joueurs d’échec ne viennent-ils pas d’Europe de l’Est ? Alors, pourquoi pas Ciprian Ă©mergeant du quart-monde ! Qu’importe que sa route, un brin manichĂ©enne, croise le pire et le meilleur. Comme dans les contes, le hĂ©ros incarne, dans le rĂ©cit Ă©mouvant de son aventure, des valeurs positives : dĂ©lurĂ©, intelligent, attachant, il suscite empathie et admiration. (L.-L.D. et C.B.)