[Prix]🥇 Prix Lire-Élire 2024 : La petite menteuse, de Pascale Robert-Diard

Attribué par les bibliothécaires CBPT de la région Nord-Flandres, le Prix Lire-Élire a récompensé, fin 2023, Pascale Robert-Diard pour son roman La petite menteuse. N’ayant pu être présente lors de la remise du prix, l’auteure a envoyé un message de remerciement et répondu à quelques questions.

Aux lectrices et aux lecteurs de Lire Élire

Bonjour à toutes et tous,

D’abord, une confidence. À cette heure, soyez sûrs que je préférerais être parmi vous, plutôt que devant la cour d’appel de Paris, assise sur un banc inconfortable, mon carnet sur les genoux, tandis que Nicolas Sarkozy et consorts assurent avoir tout ignoré, mais vraiment tout ignoré, du dépassement de 22 millions d’euros du plafond des dépenses de la campagne présidentielle de 2012.

Ainsi va la vie des chroniqueurs judiciaires : on passe des pauvres mots des pauvres gens à la comparution d’un ex-président de la République.

J’aurais surtout voulu vous dire de vive voix combien je suis fière et touchée que vous ayez lu, et élu, ma Petite menteuse !

La candidate, Lisa, aurait pu vous déplaire. Comme l’un des personnages du roman, je me suis souvent demandé, en écrivant, si « c’était le moment » de raconter l’histoire d’une jeune fille prisonnière d’un mensonge aux lourdes conséquences pour celui qu’elle a accusé.  

Cette question, légitime, je sais que vous vous l’êtes posée. Que vous aussi, vous vous êtes demandé si, à l’heure où enfin la parole des femmes se libère, celle d’une petite menteuse est bienvenue. Si même on a envie de la lire.

L’accueil que vous lui avez réservé n’en est que plus précieux à mes yeux.

Le roman est-il nourri de votre propre expérience de chroniqueuse judiciaire ? 

Pour parler de ce roman et des raisons qui m’ont conduite à emprunter la voie de la fiction, il faut d’abord que je vous dise quelques mots de mon métier.

Depuis plus de vingt ans, je passe ma vie dans les salles d’audience des tribunaux correctionnels et des cours d’assises. Avec le temps, j’ai une sacrée collection de passions humaines et des extrémités auxquelles elles peuvent pousser.

Mais j’ai surtout appris à me méfier de mes a priori. Dans un procès, on ne juge pas « une cause », on juge un être, la singularité d’un être. Et croyez-moi, cela rend humble.

Alors oui, une adolescente peut mentir. Parce que la violence du collège lui est insupportable. Parce que les garçons la réduisent à son physique. Parce qu’elle a eu trop vite, trop tôt, une mauvaise réputation et qu’elle ne sait pas comment en sortir.

Des histoires comme celle de Lisa, j’en ai croisées dans mon expérience de chroniqueuse judiciaire.

Pourquoi avoir choisi le roman comme forme littéraire ?

Mais la fiction me permettait deux choses : d’une part, construire un personnage de jeune femme, à l’aube de sa vie d’adulte, forte, courageuse, capable justement de faire face au rejet et à la colère que la révélation de son mensonge allait susciter.

Capable aussi de retourner la question aux adultes et à la justice.

D’autre part, la fiction m’ouvrait le droit à  me glisser dans la peau d’une avocate, à être traversée par ses doutes, à entrer dans le huis clos d’un cabinet, à assister aux coulisses d’une défense, moi qui n’en connais que la face publique, celle de l’audience.

Et aussi, parce que c’est ce que j’admire le plus chez les avocats, d’être celle qui oblige les juges – et au-delà d’eux les lecteurs – à penser contre eux-mêmes.

Vous êtes parfois sévère avec le monde de la justice. Quel est votre regard ?

S’il y a bien, en effet, une chose que j’aime dans les procès, c’est ce moment où mes propres certitudes vacillent.

Où l’on me conduit à regarder autrement, à m’interroger, à ne pas céder à la première mauvaise impression et donc à approcher la complexité de chaque être avant de le juger.

En vous écrivant ces quelques mots, je suis encore plus triste de ne pas être parmi vous ce soir pour vous raconter des histoires et répondre à vos questions.

Quelles sont vos inspirations littéraires ?

Mais comme il est question de Lire, Élire, j’ai envie de partager avec vous les lectures qui m’accompagnent :
Simenon, bien sûr, pour son regard si humain sur les êtres qui « franchissent la ligne »
Ian Mc Ewan, dont le roman Expiation ne m’a pas quittée pendant l’écriture de La petite menteuse, et dont j’ai tant aimé L’intérêt de l’enfant
Tanguy Viel, pour Article 343 du code pénal et La fille qu’on appelle.

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À chacune et à chacun de vous, j’ai aussi envie de dire : les procès sont publics, prenez le temps de pousser un jour la porte d’une salle d’audience !

De tout cœur, je vous remercie.

Pascale Robert-Diard