[J] Rio et la baleine perdue, de Hannah Gold

Le livre s’ouvre avec une arrivée à l’aéroport de Los Angeles et se referme avec… une autre arrivée dans le même aéroport. Entre temps il se sera écoulé plusieurs mois, le temps que la mère de Rio aille mieux, que l’enfant comprenne beaucoup de choses et surtout qu’il se découvre une véritable passion : les baleines.

Comme souvent dans la littérature jeunesse, l’histoire commence avec un drame provoquant une rupture qui, au final, s’avérera bénéfique. Rio a 11 ans, il vit seul avec sa mère à Londres. Son père a fondé une autre famille et sa mère souffre d’une grave dépression.

« Sa mère avait toujours été imprévisible et d’humeur changeante… Ses périodes sombres surgissaient souvent de nulle part, de façon inattendue ; elles duraient des jours, des semaines ou des mois. » (P. 28)

Rio s’occupait donc de sa mère, même s’il était effrayé. Il se dépêchait de rentrer de l’école, faisait à manger et les lessives, lui préparait du thé et lui tenait la main. Mais sa mère n’allait pas mieux. Rio a échoué, sa mère doit être hospitalisée, aussi décide-t-elle d’envoyer son fils chez sa grand-mère, en Californie, le temps de se soigner.

Vivre avec un adulte dépressif est malheureusement le lot de beaucoup d’enfants. C’est une maladie invisible et donc compliquée à rendre concrète dans la tête d’un enfant, lequel se sent coupable et cherche à tout résoudre. Il est en effet difficile d’accepter que peu importe le désir de voir son parent aller bien, cela ne dépend pas de l’enfant et souvent pas non plus de lui. La dépression de la mère de Rio est racontée tout en pudeur, par petites touches tout au long du livre, en parallèle avec d’autres moments vécus par l’enfant.

Rio s’imaginait que toutes les mères étaient comme la sienne et que tous les pères étaient ennuyeux et peu disponibles comme le sien. Pour le reste l’enfant n’avait quasiment pas de famille ni d’amis puisque sa vie tournait autour de sa mère.

Sa grand-mère chez qui il débarque lui était quasi inconnue. Fran est grande, osseuse, elle est habillée d’une combinaison turquoise flashy. Elle sent la menthe poivrée et conduit un 4×4 : « il n’avait jamais vu quelqu’un qui ressemblait moins à une grand-mère qu’elle ». Il lui faudra du temps pour l’accepter -puisque mère et fille étaient en froid – et d’envisager qu’elle puisse avoir plusieurs facettes.

Une autre rencontre éclaire la vie de Rio : Marina, une fillette de son âge, libre, passionnée et très bavarde, qui respecte les silences de Rio. C’est elle qui va lui ouvrir le monde de l’Océan et de ses habitants. Enfin Birch, le père de Marina, n’est pas comme le père de Rio. Il organise des sorties en mer pour observer des baleines. Père et fille vivent sur leur bateau. Et l’homme sait faire un délicieux chocolat chaud quand la situation l’impose.

En s’installant à Ocean Bay chez sa grand-mère Rio met à proprement parler ses pas dans ceux de sa mère. Il occupe la chambre de celle-ci au dernier étage d’une maison biscornue face à l’Océan et peut glisser ses pieds dans les traces sur le plancher de ceux de sa mère, qui jouait des heures durant du violon devant la fenêtre. Et puis sa grand-mère a l’idée délicate de lui confier « la boîte à bonheur » dans laquelle sa mère collectionnait des petits objets « parce qu’ils lui rappelaient qu’elle devait être heureuse » (p. 44). Il y trouve un carnet de croquis rempli de baleines. C’est le déclencheur pour que Rio découvre l’Océan et les baleines… Il ressent un immense bonheur, puissant, inimaginable.

La maman de Rio est violoniste. Rio baigne donc dans un monde de musique et de concerts. Souvent il compare ses émotions à des sons. Ainsi quand sa mère était d’humeur légère et enjouée cela sonne pour l’enfant comme un air de flûte, et quand elle était triste et grave, ce sont des coups de tambour. Il assimile la voix du père de Marina à une contrebasse.

Et l’enfant se découvre un don rare, extrêmement rare : il est capable d’entendre les baleines grises. Or la fréquence sonore des baleines grises est généralement trop basse pour les oreilles humaines. Rio, lui, entend un petit clic « suivi d’un long gargouillement confus » ainsi qu’un « son qui ressemblait à un coup de tambour » (p.162), ce qui lui permet de deviner la présence d’une baleine avant tout le monde et de dire où elle se trouve. Une aide précieuse qui lui vaut d’être le troisième membre de l’équipage du Bondissant aux côtés de Birch et de Marina.

Une baleine en particulier est dessinée à de multiples reprises dans le carnet. C’est Bec Blanc, une baleine grise. Dans cette histoire Rio tombe malencontreusement à l’eau, Bec Blanc le repousse gentiment vers le bateau. Puis, en suivant le déplacement de Bec Blanc, Rio pressent que la baleine est en danger. Il réussira in extrémis à la sauver.

Les baleines grises ont des tâches grises et blanches sur une peau noire. Elles sont souvent couvertes de parasites et de microorganismes, et peuvent atteindre une longueur de 15 mètres, ce qui en fait la septième plus grande espèce de baleine. L’espérance de vie de l’animal se situe entre 55 et 70 ans, ce qui rend possible le fait que la maman de Rio ait pu voir cette baleine quand elle était enfant et que Rio puisse la rencontrer à son tour.

Les baleines grises vivent dans des eaux océaniques profondes ; aujourd’hui elles ne sont présentes que dans la région côtière du Pacifique nord, mais autrefois on en trouvait dans l’Atlantique. Elles en ont été éradiquées par la pêche. Un petit tour au musée local montre à Rio toutes les horreurs qu’ont subies les baleines durant des siècles.

Au cours de leur migration entre l’Océan Arctique et leurs lieux de reproduction, par exemple dans le golfe de Californie, les baleines parcourent près de vingt milles kilomètres aller-retour chaque année, soit en moyenne 120 kilomètres par jour. C’est une des plus longues migration animale de la planète.

Autre phénomène magique, les arcs-en-ciels en forme de cœur produits par la respiration des baleines. Marina explique à Rio :

« Les baleines grises possèdent deux évents, contrairement à beaucoup d’autres baleines qui n’en ont qu’un… quand elles respirent, les deux jets d’eau se rejoignent dans le haut…, et c’est comme si elles respiraient des cœurs » (P. 133).
« De plus « l’huile de leur souffle capte les rayons du soleil » ce qui produit un arc-en-ciel en forme de cœur ». (P. 138).

Enfin, on découvre la base de données Happywhale, qui existe bel et bien. Ce programme permet de suivre les baleines grâce à la contribution de « scientifiques citoyens » qui repèrent les baleines pour le plaisir et pour la science. Une activité très utile car les baleines sont en danger à cause, entre autres, de la pollution des plastiques, de la surpêche, des collisions avec les bateaux et du réchauffement climatique. Un désastre pour elles comme pour l’Homme puisque les baleines sont les protectrices de la planète. Elles sont en effet capables de capturer et de stocker autant de carbone que des milliers d’arbres.

Hannah Gold, l’autrice, est née au Royaume-Uni. Elle a fait des études d’écriture et de scénarios et a travaillé à Londres pour le cinéma et le théâtre. Elle a vécu dix ans en Espagne avant de revenir s’installer dans le Lincolnshire, où elle se consacre désormais à l’écriture. Elle a publié trois romans pour la jeunesse, dont deux sont traduits en français. Ses romans sont publiés chez HarperCollins et illustrés par Levi Pinfold. Le premier, The Last Bear, a paru en 2021 (April et le dernier ours, 2022 au Seuil, cf. notice dans Les notes), The Lost Whale est son deuxième livre (2022, Rio et la baleine perdue 2023 en France), et le troisième, Finding Bear, est sorti en 2023.

The Lost Whale est déjà récompensé par un prix, The Edward Stanford Children’s Book of the Year 2023, et le roman figurait sur la shortlist du Indie Book Award 2023.

Un entretien, en anglais, avec Hannah Gold :

Levi Pinfold, l’illustrateur, est né au Royaume-Uni mais il vit au Queensland, en Australie.

D’aussi loin qu’il s’en souvienne, il a toujours dessiné. Il est auteur-illustrateur de quelques albums publiés en Grande Bretagne chez Templar Publishing. Il a reçu pour son premier album, The Django (2011), le Book Trust Best New Illustrator Award.  En France, on peut trouver deux albums : La légende du chien noir chez Little Urban (2015) et Le secret des sables : histoire d’un enchantement, chez Kaléidoscope (2023) cf. notice dans Les notes. Il a illustré un album de David Almond The Dam (Walker Studio, 2018), disponible en français sous le titre Le barrage chez D’Eux (Québec, 2019). Et bien sûr les trois romans d’Hannah Gold dans lesquels les illustrations sont en noir et blanc, et accompagnent discrètement le récit de façon réaliste avec quelques détails scientifiques. Des oiseaux volent au-dessus de chaque début de chapitre.

L’auteure termine son livre avec six pages de notes dans lesquelles elle livre son expérience personnelle à la fois sur l’observation des baleines et sur la dépression. Elle explique avoir pris « quelques libertés artistiques » dans son roman mais en s’appuyant sur une documentation sérieuse. Et si Rio n’existe pas réellement, il est là pour montrer aux jeunes lecteurs qu’ils ont le pouvoir de faire bouger les choses -dans le monde et en eux, en s’associant à d’autres personnes. L’union fait la force. On peut raisonnablement penser que les baleines vont avoir du renfort pour leur sauvegarde après la lecture de ce roman. D’ailleurs c’est déjà le cas, puisque Hannah Gold a dédié son prix littéraire à la cause du Whale and Dolphin Conservation.

Aline Eisenegger, lectrice comité Jeunesse
mars 2023

En premier lieu, c’est l’occasion de se (re)plonger dans le roman d’Herman Melville, Moby-Dick, paru en 1851. Un chef-d’oeuvre de la littérature mondiale dont on trouve quelques versions réussies pour la jeunesse. Parmi les publications les plus récentes on peut signaler :
Illustré par Anton Lomaev. Sarbacane, 2017. Ed. Collector enrichie de 100 illustrations. 
Traduction nouvelle abrégée par Marie-Hélène Sabard, illustré par Olivier Tallec. L’École des loisirs, 2020 (Illustres classiques)

Et trois adaptations :
Un livre animé : illustré par Joëlle Jolivet, un livre diorama avec l’ingénierie papier de Gérard Lo Monaco et une introduction, traduction et légende de Philippe Jaworski. Gallimard Jeunesse, 2010
Une bande dessinée de Chabouté. 2 vol. : Livre premier et Livre second. Vent d’Ouest, 2014.
Une version musicale : Adaptation de Stéphane Michaka, illustré par Juliaon Roels, musique Fabien Waksman. Orchestre national de France. Gallimard Jeunesse / France culture, 2020 (Les Albums musique). Il s’agit d’une adaptation dialoguée du roman de Melville, diffusée en octobre 2019 sur France culture.

Des romans :
Jolan C. Bertrand : Là où règnent les baleines, ill. Hélène Let. L’Ecole des loisirs, 2023 (Médium)
Pierre Gemme : Noonah, fille du Grand Nord, , ill. Djohr . Flammarion, 2020 (Castor romans)
J.M.G Le Clézio : Pawana. Gallimard Jeunesse, 1995 (Lecture junior)
Arthur Ténor : L’avertissement des abysses. Le Muscadier, 2019 (Rester vivant)

Hanna GOLD : Rio et la baleine perdue, Seuil 2024