Le vieil ogre

ROGER Marie-Sabine, BERTRAND Frédérique

Derrière une couverture exhibant une gueule rouge aux dents pointues et un titre au graphisme menaçant, colorant d’écarlate les grandes lettres du mot « ogre », le livre s’ouvre sur quelques lignes énigmatiques et inquiétantes, se détachant sur un vaste espace blanc.

 

Un ogre féroce habite en ville depuis sa jeunesse ; il est maintenant vieux et fatigué, et se terre dans son antre, affaibli mais toujours aux aguets.

Un jour arrive une vieille femme, clopinant sur sa canne. Va-t-elle se faire dévorer?

 

Textes et dessins s’accompagnent habilement afin de susciter inquiétude, interrogations et surprises. L’ « ogre » est dans les mots, mais ne se dévoile que par morceaux inidentifiables : une patte, deux yeux, une fourrure… Le récit suggère l’horreur sur fond d’une vaste ville où se distinguent progressivement des humains, et les mots redoutables résonnent comme une menace pour ces gens inconscients. La vieille femme, réduite à une silhouette à peine esquissée, minuscule, apparaît comme sa prochaine victime, sentiment renforcé par les traces d’affûtage qui font face, sur fond noir. Quand elle pénètre dans la maison, un gros plan révèle des yeux furieux et des dents pointues.

 

L’ogre gronde, rugit, mais l’intruse ne se laisse pas impressionner. Elle revient le lendemain, munie d’un sac de viande puis, quotidiennement, l’apprivoise doucement. Elle le convainc de quitter son royaume délabré pour venir habiter chez elle. Il y découvre le moelleux des canapés et la chaleur des genoux : l’ogre farouche est un chat.

 

Les illustrations, jouant sur les perspectives, traduisent bien l’inversion progressive du rapport de force. La grand-mère est dessinée de plus en plus grande, et devient joyeuse et décidée. Sa maison est aussi chaleureuse que celle de l’ogre est sordide. L’histoire s’achève avec un plan large sur la ville, presque identique à celui du début, mais les rues y sont plus animées et les couleurs plus claires et lumineuses ; l’histoire menaçante de l’ogre s’est transformée en la rencontre touchante de deux solitudes.S.A. et M.D.