Deux caravanes

LEWYCKA Marina

Dans sa ferme dĂ©labrĂ©e du Yorkshire, Mister Leapish, alias Gros Chou, recrute chaque annĂ©e pour la cueillette des fraises des travailleurs clandestins qu’il paye et loge fort mal. EntassĂ©s dans deux caravanes, quatre Polonais et Ukrainiens des deux sexes, un jeune Africain dĂ©sarmant de naĂŻvetĂ© et deux Chinoises gloussantes font contre mauvaise fortune bon coeur. Tout ce petit monde hĂ©tĂ©roclite et bigarrĂ© cohabite sans trop de heurts jusqu’à l’arrivĂ©e d’une « belle Ukrainienne haut de gamme » de dix-sept ans. Cette Irina, qui n’a pourtant rien d’une gourgandine, dĂ©clenche, bien malgrĂ© elle, l’éclatement de la tribu. Comme dans un feuilleton, on suit alors chacun des protagonistes au fil de leurs trajectoires divergentes, de pĂ©ripĂ©ties rocambolesques et, pour les plus jeunes, leur Ăąpre initiation Ă  la vie.

 

Sur un sujet aussi sensible et sombre que l’immigration, Marina Lewycka s’en donne Ă  coeur joie pour bĂątir une intrigue oĂč l’humour noir anglais et le vague Ă  l’ñme slave se rĂ©pondent, mĂȘlant Ă  l’envi innocence et cynisme en une sarabande oĂč Dieu finit par retrouver les siens. TrĂšs habilement, passant sans cesse du sordide au burlesque, tableaux et saynĂštes se suivent : le quotidien avec la faim au ventre, la promiscuitĂ©, la fatigue, la crasse, les travailleurs – et surtout les travailleuses – exploitĂ©s, la pression des mafieux et maquereaux de l’Est responsables de ce trafic humain, toujours prĂȘts Ă  jouer de la gĂąchette
 Tout cela est vĂ©cu avec un optimisme qui tend obstinĂ©ment au bonheur, faisant fleurir sur ce terrain nausĂ©abond, amour, amitiĂ© et solidaritĂ©. Hormis les mĂ©chants, dignes des meilleures BD, chacun dans son genre finit par ĂȘtre attachant, chacun s’exprimant dans sa culture, sa tournure d’esprit, sa langue, son accent particulier, jusqu’au chien qui aboie dans un savoureux parler canin. Et ça marche, ou plutĂŽt ça roule parce qu’avec une construction d’une mĂ©canique prĂ©cise, un style parfaitement huilĂ©, des dialogues pĂ©taradants, ces « Deux caravanes » brinquebalent mais tiennent la route et l’on fait, grĂące Ă  elles, un excellent bout de chemin !