Sur le toit

NIOBEY Frédérique

Le temps d’une nuit, une douzaine de copains  s’installe sur le toit en terrasse d’un immeuble. Alix a une camĂ©ra ; elle va filmer. Devant l’objectif, ceux qui le veulent raconteront un moment de leur histoire. Ils hĂ©sitent, se lancent : un jour, pour crĂąner, Deck s’est fait raser la tĂȘte ; Luce, la toute sage, remplit des « cahiers de colĂšre » ; Benjie le guitariste poĂšte a fini par affronter son footbaleux de pĂšre ; viennent aussi la blanche Margot et son amoureux noir.  Mais il en manque une, dont tout le monde parle : la belle Flora qui les fascine avec ses mots tristes et son fort accent de l’Est


Portrait de groupe. Ni dĂ©linquants, ni rĂ©volutionnaires, ces jeunes ! Ils rĂȘvent simplement d’ĂȘtre Ă©coutĂ©s, acceptĂ©s comme ils sont, provocateurs et romantiques, pudiques et maladroits. L’occasion leur est donnĂ©e, cette nuit-lĂ , d’exister au grand jour, l’émotion en bĂ©mol derriĂšre l’humour de la pose ou de la parole. Comme un appel jetĂ© dans la nuit aux adultes « d’en bas », avant l’envol. Sans une once d’acrimonie !

Pas d’action dans ce roman qui tient en un seul lieu, en une seule nuit. Et pourtant
 quelle richesse, quelle densitĂ© de vie ! La camĂ©ra orchestre ces confessions Ă  la nuit, ces bribes d’autobiographie en un rĂ©cit Ă  plusieurs voix qui s’interrompent, se coupent les unes les autres, un discours narratif externe relayant les rĂ©cits personnels. Il est difficile d’épouser le registre adolescent sans sonner faux. Au fil des points de suspension de leurs monologues Ă  l’adresse de la camĂ©ra, les personnages sont finement dessinĂ©s par une romanciĂšre qui connaĂźt son «sujet». Le regard est juste et tendre.  Bonheur de l’écriture, on entend ici la musique des voix. Comme au thĂ©Ăątre, les partitions s’accordent, chacun des personnages avançant au bord du vide (au propre comme au figurĂ©), sauvĂ© de la chute par les mises en garde d’un choeur moderne.

La tension dramatique est extrĂȘme ! On aurait pu titrer En attendant
 Flora. Celle qui ne viendra pas ! ProtĂ©gĂ©e jusque-lĂ  par le respect tacite de son secret, elle Ă©merge, par petites touches, d’une parole que l’inquiĂ©tude libĂšre. Peu importe l’anecdote ; elle est « l’étrangĂšre » dont le destin de tragĂ©die s’écrit Ă  mots couverts : des textos qui Ă©clairent par intermittences la nuit partagĂ©e, dans un bel effet de mise en scĂšne. DĂ©nouement poignant, parfaitement maĂźtrisĂ© de ce roman riche en images fortes : la voix muette de l’absente est reprise pour doser l’émotion finale par « La chanson de Flora » et son accompagnement de guitare.