Ne t’arrête pas

GAGNON Michelle

Nora se réveille sur une table d’opération, une longue cicatrice lui barrant la poitrine. À 17 ans, la jeune fille, ballottée depuis son enfance de foyer en foyer, a développé un sixième sens. D’instinct elle comprend qu’elle n’est pas à l’hôpital, qu’elle doit quitter cet endroit. On la suit dans sa fuite éperdue. Pendant ce temps, Peter est victime dans la maison familiale d’un cambriolage bizarre : des hommes lui dérobent son ordinateur portable ; ses parents, étonnamment, ne compatissent pas. Les deux jeunes gens ont un point commun : ils sont hackers et se rencontrent sur la toile par pseudos interposés. Nora a besoin d’aide ; tout naturellement, c’est vers le site /Alliance/, créé par Peter- qu’elle se tourne. Les deux internautes sortent de l’ombre…

Et nous voici de plain-pied dans leur aventure. L’action démarre dans une atmosphère angoissante. Une première course-poursuite donne le rythme d’un thriller haletant au découpage cinématographique sélectif : la caméra  subjective  suit les pas du héros. Angle de vue efficace pour découvrir les prédateurs : une entreprise d’expérimentation médicale sur cobayes humains. Trafics sordides, enjeux personnels ? On n’est pas loin de certaines réalités de la « vraie vie ». Le roman présente un autre intérêt : celui de faire découvrir le milieu des hackers, leurs prouesses, leur langage, leur éthique, sans que le lecteur béotien soit perdu. Un exotisme moderne au pittoresque séduisant ! Sur cette double toile de fond, l’intrigue se développe selon le schéma de départ en alternant les séquences centrées sur chaque personnage, l’un relayant l’autre dans l’élucidation du mystère. Eux-mêmes prennent consistance au fil des pages qui éclairent leur passé, leur entourage, leurs blessures. En plus de cette construction arborescente, ils bénéficient de leur double identité : celle de la toile qui les dissimule, celle de la vie où ils s’exposent. Quand le masque tombe, apparaît alors une autre toile, celle qui réunit, en chair et en os, dans leurs déambulations citadines des jeunes gens venus d’horizons différents, et qui ne sauraient vivre sans être connectés. Michelle Gagnon les veut solidaires, engagés, positifs. De beaux portraits dont on attend qu’ils s’enrichissent et se nuancent dans les deux tomes à venir. Le roman s’achève, en effet, sur un dénouement ouvert : l’enquête policière n’a pas commencé ; l’injonction du titre a encore tout son sens et le lecteur a eu le temps de s’attacher  aux protagonistes de l’histoire. Autant de qualités pour la première partie d’une trilogie où les adultes comme les adolescents prennent beaucoup de plaisir. (C.B. et A.D.)