Frères

ALEXANDER Kwame

Le basket unit dans une même passion deux frères jumeaux et leur père, joueur chevronné prématurément retraité et désormais coach de ses deux ados dont il accompagne les prouesses de championnat en championnat. Tout va pour le mieux dans le ciel sans nuages de cette famille où la mère veille avec sollicitude sur son trio de sportifs, sur la complicité râleuse des enfants, affectueusement surnommés JB et Dégueu, comme sur l’enthousiasme démonstratif de leur père toujours prêt à reprendre le ballon en dépit de problèmes cardiaques. Tout va bien jusqu’au jour où Jordan, le premier des jumeaux, tombe amoureux d’Alexia alias Miss Thé Glacé, et où le Boss est hospitalisé…  C’est la vie comme elle va, racontée par Josh, l’autre jumeau, témoin et acteur de cette chronique familiale sans vraie fausse note sinon les inévitables tourments de l’adolescence accentués par la gémellité : la morsure de la jalousie est plus aiguë quand elle atteint une fratrie fusionnelle. Plus profondément, c’est aussi le temps d’une autre découverte : celle de la fragilité de ceux qu’on aime alors qu’on les croyait inoxydables. Cela s’appelle grandir ! Cet apprentissage tout en finesse fait l’économie du dramatique, de ces facilités tire-larmes de l’intrigue qui sont souvent la marque du genre au détriment de la qualité narrative.  Frères séduit justement par son originalité d’écriture. Il suffit de tourner les pages pour découvrir qu’on a affaire, dans ce roman américain, à tout autre chose qu’à une narration classique. Comment appeler cette nouvelle forme d’écriture qui modèle la phrase sur le rythme musical de la course des joueurs sur le terrain, sur le rebond du ballon ou sur l’élan vers le panier ? La construction-même du récit obéit à l’organisation en quarts-temps d’une partie de basket, échauffements et prolongation compris. Vers libres, slam, quel que soit l’intitulé, il s’agit de poésie exploitant aussi les ressources du calligramme pour des effets visuels et sonores jamais gratuits : il arrive que les mots tombent, glissent, que le tempo change quand l’harmonie du « jeu » est menacée par la jalousie et l’inquiétude provoquée par la maladie. Autant de perturbations affectives dont la phrase se fait le support et scande la pulsation. On applaudit au remarquable travail de la traductrice qui, d’une langue à l’autre, chacune ayant ses qualités propres, met le lecteur de plain-pied avec une poésie urbaine qu’on réserve habituellement aux groupes de rap, peu accoutumés que nous sommes à des textes hybrides qui gomment les frontières entre les genres. Une invitation à la lecture à voix haute, qu’on soit amoureux de basket ou pas, réticents ou non dès qu’on parle de… poésie.  (C.B., A.-M.R. et C.G.)