[J] Carnet de voyage auprès de mon arbre, d’Edmond de Garenne & Thierry Dedieu

 Quelque part dans une forêt, un lapin de garenne croque situations et personnages qui l’entourent. Muni de crayons, d’un stylo à plume et d’un appareil photo, cet explorateur des herbes compile impressions et mots bien placés dans un carnet.

Un témoignage inspiré

Avec ses bords arrondis et sa bande élastique fixant ses rabats, l’album est un cousin du « Moleskine », ce carnet légendaire attribué à nombre d’écrivains‑voyageurs. Mêlant photographies, esquisses et planches dédiées à la faune et flore des forêts, il reprend certaines caractéristiques du  carnet de naturaliste. Le livre se feuillette comme un carnet de voyage documentant sur les habitudes des animaux, en écho à la définition de Pascale Argod, spécialiste de ce médium : « Le carnet de voyage, qui est au carrefour de la biographie, du témoignage et du documentaire, retrace le récit d’un parcours illustré d’iconographies et valorise ainsi la création plastique. C’est une production documentaire qui ouvre sur la culture scientifique et sur les enjeux de la préservation de l’environnement. »

Aussi, rien d’étonnant lorsque, dans le préambule, Edmond se compare à « un Christophe Colomb du quotidien » avant de déclarer : « Soyons des aventuriers autour de chez nous ! ». Ce carnettiste en fourrure mélange expériences variées d’observation (photographie, étude, nature morte) et instants poétiques, à l’image de son nuancier inspiré d’une carotte ou bien encore l’envolée d’akènes de pissenlits déposés au centre de la page, à la façon d’un herbier. Les prises de vue photographiques en macro mettent en valeur d’infimes détails, à peine perceptibles pour l’œil humain, qui distinguent les documentaires animaliers (on pense notamment aux productions de Jacques Perrin comme  Microcosmos. Le peuple de l’herbe, réalisé en 1996). Le fond couleur ivoire de certaines illustrations semblent imiter le vélin, utilisé notamment par l’illustrateur botanique Pierre-Joseph Redouté. À la fin de l’album, les portraits des co-auteurs, pastichent les représentations austères des personnalités scientifiques et artistiques, comme pour encourager tout un chacun à se projeter ornithologue, sur les traces d’un Jean‑Jacques Audubon, ou bien encore poète de frontières de pays imaginaires comme Grégoire la limace. 

À hauteur de lapin, l’enjeu du carnet entretient à l’attention de ses lecteurs une certaine proximité avec les préoccupations géopoétiques du poète Kenneth White pour qui la complémentarité des pratiques scientifiques et poétiques est essentielle pour prendre conscience de sa place terrestre.

Son originalité réside dans la valeur accordée au point de vue du lapin. Il n’est pas le sujet d’une énième étude mais un observateur impliqué et un témoin privilégié. Dans le monde de la littérature pour la jeunesse, il est un modèle avec lequel Edmond entretient des points de contact : l’autrice et illustratrice Beatrix Potter, qui fut également carnettiste, illustratrice scientifique et écologiste avant l’heure.

La poésie du vivant

Dans l’actuelle exposition « Beatrix Potter : Drawn to Nature » du musée londonien Victoria and Albert Museum, l’univers de l’écrivaine britannique est célébré à travers son sens de l’observation en plein air qui ont nourri les pages de ses carnets et son esprit écologique pionnier.

Bien que le caractère anthropomorphe d’Edmond ne repose ni sur les parures ni les attitudes comme chez Pierre Lapin, il est bel et bien le sujet de l’histoire, pattes et perceptions bien ancrées dans le sol. Entre deux brins d’herbe et deux brindilles, il s’interroge sur les expériences des uns et des autres (il philosophe), fait l’étude des caractères de ses compagnons, ose des comparaisons visuelles (« Brindille : phasme sans pattes »), partage émotions et jeux entre bestioles, entre deux jeux de mots.

Les jeunes lecteurs sont invités à s’émerveiller de cette échelle au ras des champignons, à se frotter à ce temps lent d’observation. L’écriture cursive d’Edmond, tantôt appliquée tantôt maladroite, encourage à pratiquer et à s’exercer sur le terrain. Dans le sillage des « éco‑graphies », récits sensibilisant aux thématiques environnementales, ce carnet tend un reflet, une source d’inspiration à l’adresse des petits d’homme, ces grands de demain.

Pamela Ellayah
Octobre 2022

Edmond de Garenne & Thierry Dedieu : Carnet de voyage auprès de mon arbre. Seuil Jeunesse, 2022