[BD-J] Clara et les ombres, d’Andrea Fontana et Claudia Petrazzi

Une BD à lire comme si on était au cinéma

« Il en faut du courage pour affronter ses ombres, pour se les approprier, et pour vivre avec. »
P. 186

Les auteurs sont italiens, mais l’histoire se passe aux États-Unis, dans une petite ville perdue du Vermont, à la fin des années 1980. Clara vient d’y emménager avec son père. L’adolescente souffre du départ inexpliqué de sa mère, d’épilepsie et de harcèlement. Dans sa tête, des ombres effrayantes la poursuivent et l’étouffent.

Brattleboro, visite guidée

Située au bord de la rivière Connecticut, Brattleboro, 12 046 habitants, est une ville entourée de petites montagnes.

Au fil des pages on découvre son cinéma, le Latchis (où vont Clara et son père), le grand hôtel Brooks (Robert et Clara s’y retrouvent sur les toits), le tremplin de saut à ski (sur lequel Clara fera un mémorable saut à luge), son collège, ses petites maisons en bois, le pont qui enjambe la rivière et le pont couvert. Tout cela existe réellement, les auteurs se sont bien documentés, d’ailleurs Andrea Fontana remercie les habitants de Brattleboro « pour leur aide dans la phase de recherches ». Du coup tout sonne juste, les décors sont précis et des petits détails apportent une touche de vécu. On ressent aussi les saisons : l’automne d’abord, dans des tons bruns-rouges, avec le vent qui souffle et les feuilles qui volent. Puis vient Halloween, il pleut, il fait nuit. Ensuite l’hiver s’installe, il neige et c’est Noël et ses illuminations. Enfin, dans les toutes dernières pages, le ciel s’éclaircit, les éléments se calment – tout comme les personnages s’apaisent. C’est le début du printemps.

Un duo italien

Andrea Fontana

Né en 1981, Andrea Fontana vit à Gênes où il est né. Ecrivain, scénariste et critique de cinéma, il a publié des essais sur le 7ème art. Clara est son premier livre pour la jeunesse.

Claudia Petrazzi est née en 1985 en Toscane où elle vit. Elle est diplômée de l’Academia di Belle Arti de Pérouse et a publié en Italie une dizaine de livres. En France, elle a illustré la série de Bertrand Puard, Trouille Académie, chez Poulpe Fiction. Clara et les ombres est son premier roman graphique.

On trouve comme un petit air de famille entre Claudia Petrazzi et Clara, avec un même visage anguleux et un nez pointu ! Il semblerait bien que l’illustratrice ait un penchant pour les fantômes et les êtres maléfiques et angoissants :

« Claudia Petrazzi est une illustratrice qui ne craint pas les fantômes ! Elle dessine pour sortir de l’obscurité et contrôler les pires créatures avec son crayon. »
(Source : site poulpe-fictions.fr)

Fan des années 80 et de cinéma

Les auteurs sont nés dans les années 80, et Clara et les ombres se situe précisément en 1988. Avec un grand souci du détail, les images regorgent d’allusions à cette décennie. Et en premier lieu par des références cinématographiques. On voit des affiches de films – tous sortis dans ces années-là – accrochées aux murs des chambres : E.T., L’Histoire sans fin, Les Goonies, Retour vers le futur. Enfin Clara va voir S.O.S. Fantômes au cinéma.

D’ailleurs la ville est connue pour ses festivals de cinéma. Mais au-delà de ces évocations, le roman graphique utilise les techniques du cinéma. Dix-sept pages de pré-générique à la façon d’un James Bond permettent de poser le décor et d’exposer la situation. Ensuite avec des cadrages astucieux et des gammes de couleurs dédiées pour le réel, et d’autres pour les ombres qui représentent les incarnations fantastiques des angoisses existentielles. Enfin par un ancrage très réaliste dans la vie, dans les mouvements comme dans les postures des personnages. Tout est en place pour s’immerger dans le récit.

Pour la bande son on pourra écouter avec Alex – sur un baladeur MP3 – du Heavy metal (les groupes Mötley Crüe et Black Sabbath si on en croit les posters affichés dans sa chambre), mais aussi Take on Me du groupe norvégien a-ha, chanté en chœur par la petite bande en se dirigeant vers le bois et les dangers.

Epilepsie et harcèlement : des ombres effrayantes

En France l’épilepsie se classe au deuxième rang des pathologies neurologiques après la maladie d’Alzheimer. Pourtant on en parle très peu, et très rarement dans les livres pour la jeunesse alors que les jeunes sont les premiers concernés. Cette maladie chronique se caractérise par une apparition soudaine et imprévisible de crises très brèves avec perte de connaissance entraînant une chute et parfois des convulsions. De la bave apparaît au bord des lèvres car les mâchoires sont contractées et que la personne ne déglutit plus.

« Je souffre d’une forme légère d’épilepsie. Rien de grave. C’est juste que, quelquefois, mon cerveau s’éteint… Le monde qui m’entoure s’efface… et à sa place apparaissent des ombres… ».
P. 20-21

Clara vit un double cauchemar, dans sa tête, avec ses crises d’épilepsie, et dans sa vie où des adolescents du collège la harcèlent. Les images parlent d’elles-mêmes, mieux que tous les discours et explications ne pourraient le faire.

Clara voudrait être heureuse et avoir une vie normale, comme les autres. Mais c’est quoi une vie normale ? Elle comprend petit à petit que chacun a son lot d’angoisses. L’illustration montre ses amis dans un escalier sans fin à la Escher, un labyrinthe infernal : ils subissent la violence, les moqueries, le racisme, l’abandon…

Ce roman graphique donne de la chair aux personnages qui ne se réduisent pas à leurs problèmes. Ils ont aussi leurs passions, ils savent s’amuser, profiter de la vie, et surtout ils comprennent que l’amitié et l’union constituent une force extraordinaire. 

« Tu sais, on est tous poursuivis par des ombres. Des ombres horribles qui ne nous lâchent jamais. Mais j’ai fini par comprendre quelque chose : ça sert à rien de les fuir. Ça fera pas disparaître tes problèmes. Au contraire, tu te sentiras encore plus seul. Et tu feras souffrir les gens qui t’aiment. »
P. 178-179

Bande d’ados, un nouveau label

Clara est publié dans un nouveau label : Bande d’ados, lancé en janvier 2022 par Bayard et Milan. Sous ce nom – plébiscité par les adolescents eux-mêmes – on trouvera des bandes dessinées, des séries, des adaptations, des romans graphiques, des BD d’aventures… destinés aux 10-15 ans, qui pourront être des créations et des traductions, voire des reprises. Le tout dans une grande liberté de genres, de formats et de paginations. Bande d’ados s’inscrit à la suite de BD Kids, l’univers BD de Bayard et de Milan destiné aux 6-12 ans lancé en décembre 2011. Les lecteurs ayant grandi, il fallait leur proposer des lectures adaptées à leurs âges et à leurs préoccupations. Quatre titres pour commencer, deux pour chaque marque, deux bandes-dessinées et deux romans graphiques, deux créations françaises et deux traductions. Un équilibre bien respecté, y compris à peu de choses près pour la parité hommes/femmes !

Aline Eisenegger, lectrice comité Jeunesse
Février 2022

Les quatre premiers titres publiés chez Bande d’ados
Chez Bayard, une reprise et un nouveau roman graphique :
Espions de famille, série d’espionnage, d’amour et d’humour de Thierry Gaudin et Romain Ronzeau pré-publiée dans le magazine Okapi, et déjà publiée chez BD Kids en 7 volumes à partir de 2018. Pour cette nouvelle édition la BD adopte un nouveau format et une nouvelle couverture redessinée.
La cité des secrets de Victoria Ying.
Chez Milan :
Les Bourrinologues, série de Grégory Jary, Nicole Augereau et Lucie Castel pré-publiée dans Géo Ado.
Et enfin bien sûr, Clara et les ombres.

Pour aller plus loin
Des romans où le héros est atteint d’épilepsie :
Romuald Giulivo, Où es-tu Britannicus ? . L’École des loisirs, 2013
Martin Ledun, Interception. Rageot, 2012
Jean Molla, Coupable idéal. Rageot, 2002
Anne Percin, N’importe où hors de ce monde. Oskar Jeunesse, 2009