Végétarien ?

BAER Julien, MOURRAIN Sébastien

Un dimanche comme les autres : sur le canapé du salon, près de ses parents et de sa petite soeur, avec son chien et son chat, Paul Belin est heureux, au chaud…  Un dimanche pas tout à fait comme les autres, car la veille, alors qu’il vibrait, seul comme un grand, devant les hauts faits d’un quelconque Goldorak, l’aventure — la vraie — a frappé à sa porte : deux poulets, tout de noir vêtus, sont venus l’interpeller. Du haut de ses 8 ans, il les a suivis, intrigué, jusqu’à un sinistre hangar. En fait, un tribunal dont la cour, les témoins à charge et les victimes formant un hétéroclite bestiaire allaient l’inculper du crime de mangeur de viande. Était-ce sa faute à lui, derrière ses lunettes rondes, s’il avait consommé, passés les premiers biberons, jambon haché, poisson pané, oeufs, dinde rôtie et même des nuggets au contenu mal identifié ? Qu’importait sa défense : il était coupable, sans conteste, et, au regard d’une expéditive justice, condamnable sans délai… Aïe !Végétarien ? L’interrogation qui ponctue le titre lève tout risque d’interprétation au goût du jour. La cause est vite entendue et la pirouette du dénouement le confirme : le légume désormais impératif ne vaut pas mieux que la viande, rouge ou pas, naguère incontournable. C’est une tout autre histoire que raconte Julien Baer : celle du procès inique dont le pauvre Paul Belin est la victime dans une Ferme des Animaux où la mauvaise foi flirte heureusement avec l’absurde.  À sujet grave, traitement léger : chaque étape de ce simulacre de justice doit faire rire. À la barre des plaignants, viennent ainsi, irrésistiblement drôles, trois poussins jaunes, orphelins de fratries potentielles tuées dans l’oeuf pour cause d’omelettes. De même, les apartés de l’inculpé Paul Belin (!) prêt à tout avouer, sauf peut-être, dans un sursaut de lucidité, d’avoir mangé de la girafe. De même, dans la répartition des rôles, l’énoncé du verdict qui échoit à un hibou patibulaire, version virile et dévoyée de l’emblématique chouette de Minerve. De même enfin, pour éviter le dénouement annoncé, l’évasion du héros, in extremis, qui rétablit la morale dans ses droits (ouf !) par un clin d’oeil à La Fontaine : « On a souvent besoin d’un plus petit que soi ». Tout cela est très amusant. La mise en page y contribue : l’énumération des crimes imputés au héros ressemble au menu sur une carte de restaurant ; le graphiste, Philippe Bretelle, a fait merveille dans le bien-fondé des choix de typo. Et l’illustrateur, Sébastien Mourrain, qui a donné corps au gringalet chevelu de l’histoire, en a parfaitement assumé, dans un dessin caricatural, la dimension délirante. Un album à consommer sans modération entre deux réveillons. (C.B.)