Pour en finir avec le cinéma

BLUTCH

Adieu Paul Newman : sous ce titre, s’ouvre un récit d’une dizaine de planches où l’on voit une jeune femme pénétrer en catimini dans un appartement à la recherche de son ami. Soudain, un agresseur l’étouffe avec un oreiller, puis, tout en murmurant des références cinématographiques, s’attarde longuement à la contemplation nécrophilique du cadavre. Pourtant la jeune femme se réveille : « Paul Newman est mort » dit-elle… L’agresseur retrouve ensuite son épouse et on comprend que leur relation, autrefois stimulée par le cinéma, est maintenant dévorée par la passion exclusive que lui porte l’époux. Un second récit évoque Le Robinson suisse, puis le rythme s’accélère. Les images de films se bousculent. Les acteurs et personnages défilent sous les yeux d’un narrateur qui n’est autre que l’homme du premier épisode, habité par le cinéma au point de s’identifier aux rôles qui tournent sans cesse dans sa tête.Rempli de teintes austères, un crayonné un peu charbonneux et très évocateur ouvre la porte d’un monde obsessionnel où les paroles d’un film apparaissent en surimpression sur les photos d’un autre. Chaque vision déclenche une irruption d’images plus ou moins retravaillées avec une perpétuelle mise en abyme du portrait du narrateur : le cinéma l’habite, l’a construit, mais le déçoit parfois par ses artifices et son aspect industriel. Jamais satisfait, toujours projeté dans le monde imaginaire, le cinéphile vit sa passion comme un drogué, avec ses confusions, ses illuminations et ses réveils pénibles.