Mes petites roues

PELON SĂ©bastien

C’est un petit garçon qui s’ennuie derriĂšre la fenĂȘtre de sa chambre, dans la grisaille du jour. Il sort « prendre l’air » comme le suggĂšre sa maman et s’éloigne sur son vĂ©lo-de-petit, encore Ă©quipĂ© de stabilisateurs. La rue s’ouvre Ă  lui, bordĂ©e de maisons et d’immeubles avec ses grands rĂ©verbĂšres et ses feux tricolores. Le voilĂ  parti ! Seul ? Pas exactement : apparaĂźt au loin un Ă©trange personnage tout blanc, coiffĂ© d’un petit chapeau pointu orange fluo, juchĂ©, lui aussi, sur un vĂ©lo. Commence une longue promenade Ă  deux qui se poursuit Ă  travers champs, sur une route de campagne avec virages et descentes. Le jeune cycliste s’enhardit : au diable ces encombrantes petites roues ; le « grand » en fait son affaire. Un peu clown, un peu magicien, il fait jaillir d’on ne sait oĂč, au grĂ© des besoins, parapluie, barre de chocolat ou pompe Ă  bicyclette. Une averse puis du soleil, et mĂȘme une petite sieste. Lequel des deux dĂ©sormais va le plus vite et fait fi du panneau d’interdiction de doubler ?   Tout est simple dans ce parcours oĂč se jouent apprentissage et premiĂšre Ă©mancipation. Qui est cet « autre »qui n’a pas de nom, survenu comme par enchantement ? Peu importe : tout en rondeurs douillettes et onomatopĂ©es, peut-ĂȘtre est-ce le compagnon imaginaire de l’enfant qui, lui, commente abondamment « leur » promenade. Rassurant et  facĂ©tieux, il disparaĂźt, sa mission accomplie. Il est alors temps, pour l’enfant, de rentrer Ă  la maison dans la lumiĂšre dorĂ©e de la fin du rĂ©cit, tout plein du secret de son escapade. Cela s’appelle grandir. Pour cette promenade hivernale pleine de charme, on part de la ville et on y revient : le dĂ©cor urbain trĂšs graphique passe du gris des premiĂšres pages Ă  la luminositĂ© des derniĂšres et encadre un paysage de campagne avec ruisseaux, prairies et vallons, Ă©purĂ© lui aussi, dans une palette raffinĂ©e tout en nuances. Le parcours est balisĂ© avec humour de panneaux de signalisation souvent incongrus et par la prĂ©sence, page aprĂšs page, de spectateurs attentifs ou Ă©tonnĂ©s : du chat de ville aux vaches des champs, du renard Ă  l’affĂ»t aux escargots nĂ©s de la pluie ou aux papillons Ă©clos avec le rayon de soleil, ils disent la tonalitĂ© du moment. Autant de dĂ©tails dĂ©licieux qui font le charme inopinĂ© de la lecture et de la relecture. Des planches façon BD alternent avec ces plans larges pour une approche au plus prĂšs des personnages : le rĂ©cit, sĂ©quencĂ© en vignettes, livre alors les Ă©motions du jeune hĂ©ros aussi bavard que son compagnon ne l’est pas : rien ne nous Ă©chappe des Ă©mois du nĂ©ophyte Ă  deux roues. Un album Ă©videmment pensĂ© et Ă©crit pour les enfants. (M.T. et A.-M.R.)