Maman Oie Ours

HIGGINS Ryan T.

L’ours Michel est un cĂ©libataire endurci. Ce gros bougon a fait le vide autour de lui et consacre ses jours Ă  une passion solitaire : les oeufs
 qu’il dĂ©cline en mille recettes gourmandes. Des oeufs d’oie, pourquoi pas ? Michel ne recule devant aucun raffinement gastronomique. Mais quand il voit Ă©clore, dans la casserole oĂč il les a mis Ă  bouillir, ceux qu’il a arrachĂ©s au nid de Madame l’Oie, quand quatre oisillons Ă©bouriffĂ©s par la surchauffe piaillent en choeur « Maman ! », sa vie prend une tournure nouvelle. Le poussin vivant ne fait partie d’aucune recette
  PĂšre ou mĂšre ? Plumes ou poils ? Pour les oisons, peu importe ! VoilĂ  de quoi Ă©gratigner sans dommage une question sociĂ©tale d’aujourd’hui. La pondeuse s’est envolĂ©e vers d’autres cieux et le quatuor tyrannique n’entend pas se retrouver orphelin, ni ne rĂȘve d’émancipation prĂ©coce. Il faut s’y faire et Michel, bon grĂ© mal grĂ©, endosse l’identitĂ© de parent isolĂ© dans un rĂŽle inĂ©dit : celui de « maman » d’oiseaux migrateurs. Vive la diffĂ©rence !  Avec un tel scĂ©nario, mis en place dĂšs les premiĂšres pages, le ton est donnĂ©. Le rĂ©cit tient sa promesse, drĂŽle sans faiblir jusqu’à la pirouette du dĂ©nouement, multipliant les Ă©pisodes de la vie quotidienne au grĂ© des moeurs aviaires d’enfants exigeantes. Les quadruplĂ©es Ă  table, au bain, Ă  la promenade : autant de saynĂštes amusantes qui dĂ©crivent les affres de l’apprentissage de la vie de parent avec un humour dĂ©calĂ© rĂ©jouissant. Mention spĂ©ciale pour la sĂ©quence dĂ©sopilante de l’apprentissage du vol et de son fiasco : il y a du Tanguy dans l’air, les adolescentes n’ont aucune envie de partir ! Droits des oies et devoirs des Michel sont au coeur d’un « dĂ©bat » allĂšgrement rĂ©glĂ© en quelques cartoons drĂŽlissimes.  Le texte bref offre un commentaire pince sans rire aux images qui assument l’essentiel de la narration avec une maĂźtrise Ă©vidente de la caricature. TantĂŽt en pleine page, tantĂŽt dĂ©coupĂ©es en vignettes, elles portraiturent les jeunes gallinacĂ©es, leurs tenues dĂ©lurĂ©es, leurs pauses, leurs minauderies d’oies
 pas si blanches. Le plantigrade, bleu nuit, , n’est pas en reste dans son rĂŽle de chef de famille : toute la gamme des Ă©motions se lit dans le rond de ses yeux et la dĂ©coupe jaune orangĂ© de son museau. Tout cela sur un fond bucolique charmant aux couleurs d’une transparence lumineuse. Le registre animalier et l’anthropomorphisme propre Ă  l’album jeunesse amuseront les enfants, de plain-pied dans l’histoire des quatre orphelines mais aussi, au second degrĂ©, les adultes qui se retrouveront dans le dĂ©sarroi comique du quadrupĂšde. L’album joue gagnant sur cette double identification. (C.B.)