Les quatre livres

YAN Lianke

De 1959 Ă  1961, le Grand Bond en avant prĂ©cipite la Chine dans une gigantesque catastrophe Ă©conomique et humaine. Un camp de rĂ©Ă©ducation pour intellectuels se trouve ainsi entraĂźnĂ© par son chef, l’Enfant, dans la production d’acier Ă  partir de sable ferrugineux, puis de blĂ© aux rendements dĂ©mentiels. L’État l’a dĂ©cidĂ©, il faut obĂ©ir ! L’Enfant rĂ©ussit par son enthousiasme et son art du chantage Ă  galvaniser ses prisonniers. Pourtant trĂšs sceptiques au dĂ©part, ils sont fascinĂ©s par la perspective d’une libĂ©ration. Ils tentent l’impossible, l’impossible les tue. Plusieurs voix essentielles dans cette symphonie du dĂ©sastre ; l’une, messianique, celle de l’Enfant du ciel – prophĂšte, bourreau, martyr ? Une autre, celle d’un dĂ©tenu, l’Écrivain, qui tient son journal et en parallĂšle rĂ©dige « Des criminels » oĂč il dĂ©nonce ses camarades. La derniĂšre voix, Ă©voquant Sisyphe, donne la conclusion philosophique de l’oeuvre. Les Ă©crits se chevauchent, se croisent, se rĂ©pondent, lyriques ou glacĂ©s ; chaque prisonnier, chaque brin d’herbe, chaque « rĂ©compense » tient sa partition. Certains passages objectifs, presque administratifs, sont chargĂ©s d’horreur, rappelant les contrastes de Songeant Ă  mon pĂšre (NB juin 2010). Une rĂ©flexion subtile, trĂšs humaine, parfois Ă©nigmatique, sur l’aventure intĂ©rieure et les limites de ce que l’homme peut subir et faire subir.