Abeilles

Elles bourdonnaient jadis aux oreilles des dinosaures. Aujourd’hui elles sont en danger, malmenées par la monoculture et décimées par les pesticides. Dans ce « Livre des Merveilles », album grand format, les planches en couleurs se déploient sur la double page. La couverture donne le ton avec un apiculteur aux imposantes bacchantes blanches, coiffé et vêtu de blanc, tel un explorateur de naguère. Avec lui, nous partons à la découverte du monde des abeilles. Leur aventure d’abord : l’ambre fossile de la première page signale leur apparition il y a 120 millions d’années et, trente-cinq planches plus loin, une scène bucolique sonne le glas de leur existence : la pollinisation manuelle les a remplacées dans les pommiers en fleurs de la province chinoise du Sichuan ; le charme de l’image ne dissimule pas l’absurdité de la situation ni la gravité du phénomène. Le premier chapitre de ce documentaire est une leçon de sciences naturelles digne des travaux de Maeterlinck : de la ruche à l’essaimage, un mélange de précision informative et de poésie liée autant à l’étonnante organisation de l’espèce qu’à l’élégance carton-pâte des images. Pas d’anthropomorphisme, les insectes sont là, figés dans leur forme d’insectes ; mais le commentaire, en bas de page, dense et précis, est fait sur le ton du récit animalier, vivant et drôle.Vient ensuite le panorama historique du commerce des hommes avec les abeilles. Un régal de fantaisie tonique et d’humour ! Le parti pris d’un graphisme naïf décuple l’attrait d’une information, elle-même hors du commun : au panthéon de ce savoir, les « mangeurs de miel » préhistoriques,  les « larmes de Râ » des Égyptiens, l’hydromel nectar des dieux grecs, l’ambroisie de Saint-Ambroise … jusqu’aux fils d’or du manteau impérial de Napoléon. Quelle ascension ! …   La récolte du miel reste néanmoins notre grande affaire.  Un chapitre lui est consacré, de sa cueillette dangereuse à sa fabrication et au déplacement astucieux de ruches sophistiquées et décorées. Hommage à l’ingéniosité humaine et gare aux prédateurs : le commentaire s’amuse à conter le combat épique de l’homme et de l’ours ! Plus étonnant : dans la gestion de cet or, il a fallu légiférer ; la double page consacrée aux lois apicoles surprendra plus d’un lecteur. On sort étourdi et enchanté de ce parcours en images foisonnant d’informations ! Le commentaire déborde même dans des « brèves » en noir et blanc, pêle-mêle, pour le plaisir du détail en plus, de l’idée fausse déboutée et de la digression toujours digne de curiosité. Cet album satisfait goût de l’insolite et appétit de savoir, superpose connaissance et émerveillement. De quoi fédérer un large public. (C.B.et A.-M.R.)