Detroit

FERNANDEZ Fabien

Sur fond de dĂ©sastre urbain et de friches industrielles ravagĂ©es, l’épopĂ©e urbaine se raconte en trois voix. Le roman noir se nimbe de fantastique pour faire Ă©cho Ă  une vraie rage de vivre, au courage de rejaillir incarnĂ© par des personnages fĂ©minins.À Detroit, l’effondrement de l’industrie automobile aligne maisons en ruines et friches industrielles quand dĂ©barque Ă  l’aĂ©roport Ethan Owl, jeune reporter-photographe new-yorkais en quĂȘte d’un article coup de poing. Adepte de l’urbex, il s’apprĂȘte Ă  fouiller les quartiers les plus dĂ©vastĂ©s, comme celui oĂč vit Tyrell. 17 ans, impulsif, sujet Ă  des crises de violence aveugle, l’adolescent rĂȘve du moment oĂč il quittera la dĂ©sespĂ©rance de cette ville gangrenĂ©e par les gangs jusque dans les rangs du lycĂ©e. Ainsi va la vie Ă  Motor City, la mal nommĂ©e en ces annĂ©es de crise, entre amitiĂ©s, amours adolescentes, rixes, combats de chiens et interventions des forces de l’ordre impuissantes et fatalistes. Quel avenir attend ces damnĂ©s de la ville ? Le roman file au rythme d’intrigues mĂȘlĂ©es dont les pĂ©ripĂ©ties disent aussi bien les effets dĂ©lĂ©tĂšres du rĂ©cent sĂ©isme industriel que la rage de vivre et de se relever. Trois voix, loin de tout archĂ©type, alternent dans ce rĂ©cit dense, sombre, prenant : celle d’Ethan, celle de Tyrell et, plus surprenante, celle de Motor City dont le dos de bitume vibre sous les dĂ©placements des uns et des autres. Le journaliste, Ă©quipĂ© de sa frontale, pose un regard extĂ©rieur sur cet univers pittoresque autant que dĂ©labrĂ© oĂč gronde la vie, brutale, Ăąpre, dĂ©senchantĂ©e ; c’est le regard d’un Ă©tranger sensible aux contrastes, aux excĂšs, la curiositĂ© affutĂ©e au prisme de son mĂ©tier. Tyrell, le hĂ©ros, a la fragilitĂ© de sa jeunesse, et des impatiences Ă  la hauteur de la toxicitĂ© du lieu.  Il est soutenu dans son parcours Ă©mancipateur, voire rĂ©silient, par une mĂšre-courage exemplaire. Comme l’est aussi l’autre personnage fĂ©minin, l’officier Moore : de celles qui ne renoncent pas et autorisent Ă  croire en des lendemains meilleurs. En toile de fond de ce théùtre urbain, on croise en effet des individus, pas de simples marionnettes. Motor city, la troisiĂšme voix, fait flirter le roman noir avec le fantastique ; la ville-personnage se livre petit Ă  petit en mĂȘme temps qu’elle raconte en tĂ©moin privilĂ©giĂ©, les dĂ©ambulations des autres. Prouesse narrative ! L’auteur, comme fascinĂ© par le destin de Detroit, raconte l’épopĂ©e tragique d’une « shrinking city » emblĂ©matique sans jamais basculer dans le documentaire au dĂ©triment de la littĂ©rature. Figure poĂ©tique, la ville slame le douloureux rĂ©cit de sa vie, sublimĂ© par les paroles et la rythmique de ses enfants musiciens : Eminem, Rodriguez et d’autres, citĂ©s en exergue comme autant d’encouragements Ă  relever la tĂȘte, comme autant de relais d’un humanisme de combat. Cette scansion particuliĂšre de la phrase donne Ă  la prose de Fabien Fernandez sa signature : sobriĂ©tĂ© et force Ă©vocatrice. (C.B., R.F. et M.-C.D.)Â