Un été fabulissime (2) : Le fabuliste et les graveurs (XVIIe-XIXe siècles)

L’ambivalence des Fables tient à la cohabitation d’un monde animal à l’anthropomorphisme affirmé avec des personnages humains. C’est dans le rapport entre le dessin purement animalier et le traitement de cette ambiguïté que se différencient les approches artistiques de leurs dessinateurs depuis quatre siècles. La plupart du temps, chaque texte se prête à une interprétation en une seule scène d’un instant jugé crucial par le dessinateur. Instauré dès les premières éditions de l’oeuvre, ce principe récurrent est commun à nombre d’entre eux.

F. Chauveau : Le loup et l’agneau. 1668

En 1668, dès la première édition des Fables, François Chauveau crée 130 gravures qui leur sont intégrées. Dans ces vignettes de petite taille, l’intensité dramatique du trait éclaire pour chacune un instant marquant, sans pour autant souligner le parallèle entre l’homme et la bête, ressort pourtant essentiel des textes.

Entre 1730 et 1734, Jean-Baptiste Oudry livre 250 gravures publiées dans une édition en plusieurs volumes. Dans le style des peintres animaliers nordiques, ses cartons de tapisserie, tableaux et dessins pour gravure, minutieusement composés, placent les sujets dans des paysages amples, offrent aux animaux une interprétation pleine de véracité, mais l’artiste se garde bien, au siècle de Buffon, de les anthropomorphiser à outrance.

La Fontaine. Choix de Fables , illustré par Gustave Doré, 2013

Le rigorisme du XIXe siècle industriel « infantilise » le lectorat des Fables, et en réduit souvent l’édition à des recueils de quelques textes, récurrents. Deux illustrateurs, reconnus parmi les meilleurs interprètes de La Fontaine, en offrent, dans le style et l’approche, deux interprétations opposées. En habillant de costumes bourgeois ou de guenilles des animaux aux attitudes complètement humanisées, Jean-Jacques Granville en fait les acteurs d’un théâtre spectaculaire et caricatural de la société « louis-philipparde » (éditions de 1838 à 1840). A contrario, déjà célèbre pour ses illustrations des Contes de Charles Perrault et de grands classiques, Gustave Doré joue, dans l’édition de 1867, de la même dimension fantastique et onirique caractéristique de ses sombres gravures aux angles de vue novateurs. L’extrême minutie du trait impose au regard des animaux plus vrais que nature, et pourtant si expressifs de l’étrange parenté avec les travers humains qu’ils évoquent. Un maître en la matière !

Gustave Moreau : Les Fables de La Fontaine, 2021

Le peintre Gustave Moreau figure parmi les plus célèbres illustrateurs des Fables avec sa série d’aquarelles publiées en 1881-1882. La rigueur de son travail préparatoire pour les dessins animaliers s’enrichit des multiples influences qui traversent toute l’oeuvre du peintre.

(À suivre…)

Muriel Tiberghien

François Chauveau(1613, 1673) : Fables choisies, mises en vers par M. de La Fontaine, C. Barbin, 1668
Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) : Fables de La Fontaine, dessins pour l’édition dite des Fermiers généraux
Jean-Jacques Grandville (1803-1847) : Fables de La Fontaine illustrées par J.J. Grandville, Langlande éd., 2012
Gustave Doré (1832-1883) : La Fontaine, choix de fables, illustrations de Gustave doré, 1867. BNF, 2013
Gustave Moreau (1826-1898) : Fables, 1781-1782. Catalogue de l’exposition Gustave Moreau. Les Fables de La Fontaine, Éditions In Fine/Musée Gustave Moreau, 2021

.

Mis en ligne le 30 juillet 2021