Maggie Doyle, éditrice chez Laffont

Directrice depuis vingt ans du département littérature étrangère chez Laffont, Maggie Doyle est sans cesse à la recherche d’écrivains de talent. Si elle n’a pas été à l’origine de sa découverte en France, elle a du moins bien connu Tom Wolfe qu’elle a suivi pendant plusieurs années.

Maggie Doyle quel est exactement votre activité au sein des éditions Laffont ?

Je suis depuis vingt ans directrice du secteur littérature étrangère qui recouvre plusieurs entités. Je dirige tout particulièrement la collection Pavillons. Mais certains auteurs étrangers paraissent aussi sous le label Laffont ou Nil éditions.

Chaque collection privilégie-t-elle une forme particulière ?

Robert Laffont a lancé la collection Pavillons en 1945 après avoir fondé sa maison en 1941 à Marseille. Elle est essentiellement dédiée à la littérature étrangère. Il a commencé à publier des auteurs comme Buzzati, Graham Greene, Primo Levi dont je suis fière de dire que nous continuons à les publier. Puis plus tard Soljenitsine, Boulgakov… Et puis effectivement Tom Wolfe mais aussi Margaret Atwood, Colm Tóibín. Tous des auteurs plus spécifiquement littéraires. Sous le label Laffont paraissent ensuite des romans plus grand public auteurs français et étrangers confondus. Des auteurs comme Ken Follet ou Justin Cronin par exemple. Et enfin, nous avons une autre collection, Nil Editions, une maison d’édition dans la maison. Là encore elle regroupe indifféremment auteurs français ou étrangers. Le plus grand succès des éditions Nil a été Le cercle littéraire des éplucheurs de patates. J’ai été en charge de ce secteur là pendant plusieurs années. Aujourd’hui j’ai une jeune collègue qui a repris l’ensemble de Nil ce qui me permet de me concentrer sur mes auteurs Pavillons.

Comment recherchez vous vos auteurs étrangers ?

Nos recherches sont alimentées par plusieurs sources. La première nous vient de nos propres auteurs qui nous parlent de leurs lectures. Ils sont en général extrêmement généreux envers leurs « collègues ».

Il y a ensuite les autres éditeurs étrangers qui font le même travail que nous dans d’autres pays. J’ai ainsi tout un réseau d’homologues. Avant d’être chez Laffont, j’avais été agent littéraire, représentante des auteurs étrangers auprès des maisons d’édition françaises pendant seize ans. Au fil des années, j’ai ainsi créé mon propre réseau étranger. Nos goûts communs, nos affinités, nous ont permis de tisser des liens précieux d’amitié. Nous nous parlons beaucoup, correspondons beaucoup entre nous.

Un autre réseau très important est celui des agents littéraires qu’on rencontre, entre autres, à Francfort. Mais pas uniquement. Nous sommes en contact permanent par mails, envois de fichiers etc.

Une autre source encore est celle des « scouts », sorte d’éclaireurs. La concurrence en matière de littérature étrangère est telle et la production est telle que nous avons besoin de ces éclaireurs. C’est même indispensable. J’ai ainsi une correspondante à New York qui est constamment en train d’écumer les manuscrits que les agents littéraires soumettent aux éditeurs américains. Elle nous fait signe dès qu’elle voit passer un manuscrit susceptible de nous intéresser, bien avant même que celui-ci ne soit publié par l’éditeur. Cela explique que nous soyons en mesure d’acquérir les droits en langue française en même temps que l’éditeur étranger. C’est le cas surtout en langue anglaise, mais aussi parfois en espagnol, italien ou allemand. Nous évoluons dans un monde finalement très très petit où les droits de tout ouvrage digne d’être remarqué s’achètent très très rapidement. Vous avez là les quatre pôles principaux de nos recherches.

Mais venons en à Tom Wolfe. Comment l’avez vous découvert ?

Je dois dire en toute honnêteté que je ne suis pas à l’origine de cette découverte.

Bien évidemment je connaissais l’œuvre de Tom Wolfe et j’étais ravie lorsque je suis arrivée chez Laffont en 1999 de voir que nous avions publié Un homme, un vrai. Mais nous l’avions sorti trois mois avant mon arrivée. Nous avions aussi publié en 1997 Embuscade à Fort Bragg, une longue nouvelle Pour ma part je l’ai réellement connu en 2006 quand nous avons publié Moi Charlotte Simmons. Nous nous étions tout de même rencontrés un peu avant, mais c’est à partir de ce moment là que nous avons vraiment commencé à travailler ensemble. C’était un homme délicieux. Un jour – je crois que c’était en 2013 lors de la publication de Bloody Miami, alors qu’il était là pour promouvoir le livre et que les choses étaient un peu compliquées – je ne voulais pas le bousculer car c’était déjà un homme d’un certain âge, il m’a sorti cette jolie réplique : « I am an easy date. » Je crois qu’il voulait dire par là « je ferai ce que vous voulez ne vous inquiétez pas. On ne va pas se compliquer la vie ». 

C’était tout lui, cette courtoisie du Sud, cette élégance à la fois vestimentaire et du cœur, cette politesse exquise. Il formait avec sa femme un couple magnifique. C’était vraiment un être exceptionnel. Dans notre métier nous avons beaucoup de chance de rencontrer des gens comme cela. Et il avait une langue si juste, si époustouflante.

Un auteur comme lui avait-il un traducteur attitré ? Il ne devait pas être facile à traduire ?

Non c’est vrai mais étonnamment, par un certain concours de circonstances, il a eu trois traducteurs, Benjamin Legrand, Bernard Cohen et Odile Demange. Tous ont, à mon avis, fait un excellent travail. Avec chacun d’eux j’ai retrouvé cette  voix intérieure qu’on entend quand on le lit. Mais il a leur donné du fil à retordre !

Était-il en contact avec eux ?

Oui mais plutôt vers la fin en général. Pour que les traducteurs puissent exposer les difficultés qu’ils avaient rencontrées. Et toujours avec cet accueil très chaleureux, cette grande disponibilité de temps et d’attention.

Vous parlez d’un homme délicieux. Et pourtant il avait la dent dure vis à vis de ses contemporains ? C’est étonnant. On aurait plutôt imaginé une personnalité un peu misanthrope, pessimiste ?

Eh bien ! Dans la vraie vie pas du tout ! Je crois qu’il était surtout réaliste. C’est vrai que ses portraits étaient grinçants. En parlant de portraits d’ailleurs, il dessinait aussi beaucoup. Son éditeur espagnol avait sorti un livre sur ses dessins. Et il avait très envie que nous aussi en fassions quelque chose nous les français. Nous avons donc publié en 2013 Où est votre stylo ? qui est un recueil de ses chroniques et de ses portraits les plus intéressants que j’ai pu sélectionner. Nous nous sommes beaucoup amusés à faire ce livre.

Pensez vous qu’on pourrait le qualifier de Balzac moderne ?

Oui je pense qu’on pourrait dire cela. C’était un observateur attentif de ses contemporains. À ce propos, il est très intéressant de voir comment son travail est d’abord passé par ces années de journalisme où il a en compagnie d’autres comme Truman Capote, Norman Mailer… inventé le New Journalism.

Est-ce lui ou Truman Capote qui l’avait inventé ?

Je crois que cela se discute. Il y a quand même ce fameux article qu’il avait fait pour le New York Tribune. Je crois que c’est avec cet article qu’il avait inventé ce concept, cette technique qu’il qualifiait de « saturation reporting ». Cela supposait qu’il accompagnait les gens, qu’il s’identifiait à eux jusqu’à ce que les événements surviennent. Il faisait alors partie intégrante de ces événements d’où le côté subjectif, le côté mise en scène de ses articles, les dialogues, tous ces détails sur les personnages leur vie matérielle etc. Ce n’était pas du tout du journalisme d’investigation, c’était au contraire une fois de plus très subjectif. Ces années de journalisme ont fini par l’amener au roman mais pas tout de suite.

Avant ses romans, il y a eu aussi ce livre magnifique que je conseille toujours vivement de lire, paru chez Gallimard. Il y met en scène les Jets Pilots, les passeurs du mur du son, les précurseurs des astronautes. Pour moi c’est une sorte de livre charnière car c’est une espèce de plongée dans un monde très particulier où il s’identifie à ces hommes. C’est une grande enquête menée avec sa fameuse méthode de saturation reporting qui se lit comme un roman alors que ce n’en est pas un.  

Et c’est seulement après qu’est venu Le Bûcher des vanités dans lequel il a utilisé toutes ces techniques. Mais cela a été un travail de très longue haleine. Il lui a fallu de nombreuses années de recherches et d’écriture. Des recherches  commencées au début des années 1980 alors que le livre n’a été publié qu’en 1987 ! Il n’arrivait pas à le terminer. C’est la raison pour laquelle, en 1985, en accord avec son éditeur, il l’a d’abord fait paraître sous forme de feuilleton dans le Rolling Stone pendant au moins un an ou deux. Cette discipline de journaliste, le fait d’avoir l’obligation de boucler l’a aidé à aboutir. Cela a été un premier brouillon du roman, son noyau en quelque sorte. Ensuite il a tout réécrit et en a fait plusieurs versions pour arriver au roman.

Le New Journalism a-t-il fait école en France ?

Non je ne pense pas, du moins pas à ma connaissance.

Quand on voit le portrait de Tom Wolfe, on se demande si ce n’était pas quelqu’un d’excentrique ?

Eh bien non pas du tout c’était quelqu’un d’extrêmement classique avec une famille stable, une femme, deux enfants. C’était je le répète un homme exquis, d’une grande élégance, c’est pour moi un honneur de l’avoir connu.

Propos recueillis par Marie-Noëlle du Payrat