L’arbre, l’enfant et les livres

Quand la nature reprend ses droits en l’absence de présence humaine

Qu’il soit ornement solitaire de nos jardins ou élément d’une forêt, légendaire parfois, l’arbre, embléme de vie et de croissance, de mort aussi, est un pilier où s’enracine la littérature jeunesse. Florilège extrait d’une bibliographie généreuse où fiction et réalité se répondent.

L’arbre, géant d’un arboretum chatoyant

Avant tout, qu’est-ce qu’un arbre ? Un végétal immense dont l’enfant n’aperçoit pas la cime, un être vivant, changeant, qui interagit avec la vie foisonnante qui l’entoure. Iela Mari l’a suggéré avec délicatesse et précision dans L’arbre, le loir et les oiseaux (l’école des loisirs, 1973), un classique sans cesse réédité pour les plus petits. De l’hiver à l’automne, la présence des animaux anime par leurs activités vitales les tonalités des saisons qu’égrène cet album sans texte. Plus documentaire, un autre grand classique de 1991 réédité par l’école des loisirs en 2018 : Mon arbre, de Gerda Muller. Sur les pas d’une petite fille en vacances chez un oncle garde forestier, les fines aquarelles, associées à un texte explicatif simple, invitent à observer au fil de l’année les changements d’un chêne majestueux dressé au milieu d’une clairière.

Autre arbre exceptionnel, Le ginko, le plus vieil arbre du monde, dépeint par Alain Serres et Zaü (Rue du monde, 2011). Portrait et histoire font surgir les mystères et la magie de cet arbre riche de substances que les hommes, inspirés par sa longévité, ont utilisés au fil des siècles.

Récemment, c’est l’incroyable diversité des espèces qui est mise en avant par des documentaires entre rigueur encyclopédique et évocation poétique. Choix de critères spécifiques pour le classement, commentaires scientifiques ou poétiques, ambiances colorées ou illustrations minutieuses à la manière des pages encyclopédiques du XVIIIe siècle, chaque album use d’un schéma type pour évoquer les spécificités d’une grande variété d’arbres, des plus communs aux plus extraordinaires. Sélection sur la forme des feuilles de près de soixante espèces dans Inventaire illustré des arbres de Véronique Aladjidi et Emmanuel Tchoukriel (Albin Michel Jeunesse, 2012). Coloration plus onirique des paysages nocturnes investis de formes végétales luxuriantes, étapes d’un « Voyage au pays des arbres » en compagnie d’un enfant qui chante les merveilles de L’Arboretum, de Nancy Guilbert (Ed. Courtes et longues, 2018). Dans un foisonnement de formes et de couleurs, l’illustratrice Anna Griot accompagne un texte chantant, parfois énigmatique, invitation à découvrir les « personnages » étonnants que la nature invente.

Le plus complet est sans doute le dernier paru : Arbres, de Piotr Socha et Wojciech Grajkowski (Ed. de La Martinière, 2018), qui s’approche davantage encore des grandes planches « à l’ancienne ». Les explications, ordonnées avec de nombreux renvois dans les images, étayent une découverte approfondie des fonctions des branches, feuilles, racines, etc., puis d’un grand nombre de spécimens d’arbres exceptionnels plantés aux quatre coins de la planète la planète.

L’arbre-monde

Entrons dans un monde imaginaire : et si l’univers se résumait à un seul arbre ?

La miniaturisation du réel dans Les Minuscules de Roal Dahl (Gallimard Jeunesse, 1991), se cache au cœur d’un bois dont les arbres creux hébergent des humains en paix avec les animaux. Elle prend une dimension particulière dans les minutieuses images de Patrick Benson, le généreux format de l’album offrant au décor forestier une densité fascinante. Loin de perturber l’équilibre de vie des Minuscules, l’intrusion d’un « géant », Petit Louis, enfant curieux de tout, les aidera à vaincre ce qui les menaçait et lui offre un passeport permanent pour cet univers magnifié par les envols de Petit Louis sur le dos d’un cygne. Une vision plus intimiste ressort de la nouvelle interprétation de l’histoire par Quentin Blake en 2018, sous le titre Billy et Les minuscules.

La vie animale — insectes, oiseaux… – n’est pas aussi serviable envers les desseins du héros de Timothée de Fombelle, dans le monde fantastique d’un arbre solitaire habité par une société microcosmique à hauteur d’écorce. Avec ses trois millimètres de haut, Tobbie Lolness (Gallimard jeunesse, 2006 et 2007), héritier d’une dynastie qui a perdu son chef, doit combattre avec ses propres armes contre les usurpateurs et leurs armées constituées d’insectes puissamment cuirassés. C’est hors de l’espace de l’arbre que Tobbie trouvera les atouts pour ramener la paix dans cette société humaine en réduction.

L’incursion dans l’imaginaire lié à l’arbre ne fait que commencer…

Le fantastique entrelac des branches

Silhouette souvent torturée, l’arbre peut se muer en un décor fantasmagorique proche de celui de la forêt des contes. La végétation qui investit les illustrations de manière vertigineuse ouvre vers des échappées inattendues et magiques : les plus grands créateurs pour la jeunesse s’y sont promenés.

L’illustrateur anglais Anthony Browne a souvent transfiguré les arbres par de discrètes métamorphoses, dans un souci du détail ajoutant la fantasmagorie à l’hyperréalisme. Comme Dans la forêt profonde qui revisite le conte du Petit Chaperon Rouge, ou Retrouve-moi (Kaléidoscope, 2004 et 2017), les enfants s’égarent ou jouent à cache-cache au pied de silhouettes immenses, inquiétantes, dans une promenade au cœur de l’étrangeté renforcée par nombre d’allusions aux héros ou aux objets symboliques des contes. Des figures mouvantes de ses arbres, souvent traités en grisailles, naît une sourde angoisse maîtrisée à la fin de l’histoire dans un sourire ou éclat de rire.

Même omniprésence de la végétation dans l’œuvre de Claude Ponti. Il y a beaucoup d’arbres aux noms et aux fonctions extraordinaires dans Ma vallée (l’école des loisirs, 1998) : l’arbre-maison de Poutchy Bloue où toute sa famille vit en harmonie, l’Arbre Abato, caravelle que n’aurait pas reniée Christophe Colomb… L’ornement hiératique du square Albert Duronquarré, où Georges Lebanc (L’école des loisirs, 2001) déroule ses souvenirs au long du jour, accueille dans ses branches de multiples et improbables créatures.

L’arbre, la mort, la vie,

Certains arbres grouillent de vie. D’autres deviennent espace d’isolement, passage initiatique où affronter les épisodes graves de l’existence.

Le plus fantasmatique des arbres de Claude Ponti est sans contexte L’arbre sans fin (l’école des loisirs, 1992). Précipitée dans les profondeurs de ses racines par la douleur de la mort de sa grand-mère, Hippolène y traverse toutes les saisons de la vie, avant de retrouver la lumière, sa filiation et son identité, en remontant vers les hauteurs de son arbre dont elle comprend enfin qu’il n’est pas, tout comme la vie, « sans fin ».

Chaque soir, Quelques minutes après minuit (Gallimard Jeunesse, 2011) — histoire envoûtante imaginée par l’auteure irlandaise Siobhan Dawd et reprise à sa mort par Patrick Ness — un « monstre » semble vouloir, dans ses cauchemars, s’emparer de l’âme de Conor, profondément perturbé par la maladie de sa mère. Ce monstre, c’est l’if immense qui domine la colline voisine ; à la fois confesseur et confident, inquiétant et consolant, il noue avec l’adolescent des échanges où s’exprime la profondeur de son désespoir et dont, avec l’acceptation du départ de sa mère, naîtra l’apaisement tandis que les « mains » de l’arbre le guident vers cette entrée dans le deuil.

« Arbre de la transmission », minuscule graine plantée au milieu d’un jardin de ville, nourrie, soignée, veillée par un grand-père et son petit-fils… Autour de cette pousse qui grandit en même temps que l’enfant, passent les saisons : texte succinct et images simples, expressives, donnent la mesure du temps grâce à ces tous petits détails qui font les jours. De leurs échanges au fil des ans, tandis que l’arbuste devient un pommier magnifique, se laisse peu à peu deviner la notion du divin, semblable à cette graine d’arbre en devenir. Car, entre La Graine et le Fruit (La Joie de Lire, 2017), Alexis Jenny et Tom Tirabosco, font entendre un mystérieux écho à l’appel d’infini qui s’exprime en chacun.

Renaître arbre…

… Quand la végétation ouvre branches et racines et se fait refuge où peut disparaître, pour mieux renaître, un héros menacé.

Le Conte du Genévrier de Jacob et Willemn Grimm, est un conte cruel rarement édité. Un jeune garçon est tué par sa marâtre, qui le donne à manger à son père à son insu. Enterrés entre les racines du genévrier de la cour — espace de consolation et de renaissance magnifié par les gravures de Gilles Rapaport (Le Genévrier, 2012) — ses restes seront, sous la forme d’un phénix, les atouts de sa victoire finale sur le mal.

Reprenant un épisode des Métamorphoses d’Ovide, le tout récent livre de Valentine Goby et Gilles Rappaport, Tu seras mon arbre (Thierry Magnier, 2018), transpose le mythe de Daphné en dénonciation percutante du harcèlement dont les femmes sont victimes. Dans une boîte de nuit, une jeune femme perçoit le regard insistant d’un homme tapi dans la salle. Plus tard, poursuivie dans la nuit, elle s’enfonce dans les bois, invitée par les buissons à se fondre en eux pour se rendre invisible aux yeux du prédateur. La mythologie muée en conte d’avertissement…

Planter pour demain ?

L’arbre, en tant que vecteur de survie et de renaissance, n’existe pas que dans les contes. Retour au réel…

En 1983, L’homme qui plantait les arbres de Jean Giono (réédité en 2010 chez Gallimard Jeunesse, animé de deux pops-up de Joëlle Jolivet), faisait figure de précurseur. Redonner patiemment vie, jour après jour, à une terre désertifiée, c’est poser un acte remarquable pour le futur de l’homme, geste reproduit par des utopistes généreux, émus par le sort de leur environnement.

L’œuvre de Mama miti, la mère des arbres, alias Wangari Mathai, la femme qui plante des millions d’arbres, est évoquée successivement par Claire A. Nivola ( Ed. du Sorbier, 2008) puis Franck Prévot et Aurélia Fronty (Rue de Monde, 2011). L’un et l’autre ouvrages rendent hommage à la « guerrière », fondatrice du mouvement Green Belt, qui a su mobiliser les femmes du Kenya, son pays épuisé par la surexploitation, afin de le reboiser et de préserver les ressources naturelles. Parcours tenace et courageux qui lui valut le Nobel de la Paix, images naïves et chaleureuses d’une militante.

L’importance du reboisement sur l’environnement naturel apparaît clairement dans un remarquable documentaire japonais : J’ai planté un arbre en montagne de Kanayo Sugiyama et Shigeatsu Hatakeyama (Ed. de l’Édune, 2016). L’action fut menée par des pêcheurs forestiers japonais, observateurs de la chaîne de vie qui court de l’arbre planté en haut de la montagne à la nourriture du poisson dans la rivière. L’étude minutieuse de l’interaction entre les biotopes explicite clairement les enjeux de l’équilibre environnemental : sans arbre, plus de poisson, plus de ressources pour le pêcheur…

L’homme et l’arbre : un futur radieux ?

La vie secrète des arbres, ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent…. Les révélations de cet essai de Peter Wohlleben (Les Arènes, 2017), best-seller de la littérature adulte, dévoile la solidarité qui lie les végétaux entre eux par la transmission d’informations, la réalité des signaux électriques et des odeurs qu’ils ne cessent d’émettre. Écho à ce livre-phare, une BD publié à l’automne 2018 chez Le Lombard : La forêt, racontée par Hubert Reeves, coécrite avec Nelly Boutinot. Le célèbre scientifique y emmène un groupe d’enfants dans le plus ancien massif forestier d’Europe, la forêt d’Ardennes, pour leur expliquer les différentes strates du milieu, les interactions des végétaux entre eux, et leurs relations pas toujours nocives avec les hommes.

Détenteurs dans leur ADN de l’histoire complète du monde depuis l’origine de temps, les arbres, pour se défendre des hommes qui tendent à brider leur espace de vie, s’associent avec un champignon capable de secréter sur de vastes territoires un poison mortel pour l’homme. À travers le scénario-catastrophe de The End (Rue de Sèvres, 2018), Zep pousse ainsi à l’extrême la théorie de l’interaction homme-arbre dans une vision apocalyptique, arbres et champignons complices pour semer une mort inexplicable dans différentes régions du globe. Pas si maître de son environnement, l’homme qui se croît tout puissant ; pas si conviviaux que cela, les mystérieux végétaux qui nous entourent… Heureusement pour l’avenir de l’humanité, Théodore, le héros, et une petite communauté d’individus sont épargnés par cette attaque massive. La vie reprendra, si ces hommes ont bien retenu la leçon…

Et elle perdurera si les nouvelles générations de lecteurs découvrent, à travers les histoires étonnantes de leur patrimoine littéraire, les joies, les richesses et les enjeux de leur relation personnelle aux arbres.

S’ils savent aussi s’arrêter quelques instants en forêt pour rêver au pied d’un arbre ou contempler sa futaie…

Muriel Tiberghien
Publié dans Notes Bibliographiques N°3-mars 2019