L’indicible (Le rapport de Brodeck ; 2)

LARCENET Manu

Brodeck, on l’a vu dans le tome prĂ©cĂ©dent, habite dans un village dont il n’est pas originaire. Une bourgade retirĂ©e, dans une forĂȘt de grands arbres sombres et tristes hivers glacĂ©s. Ses habitants, les hommes surtout, sont rudes. Ils supportent cet Ă©tranger et les deux femmes qui l’accompagnent, dont son Ă©pouse, sans les considĂ©rĂ©r comme des leurs. Lorsque le village, pendant la guerre, est envahi par les soldats, il est quasiment le seul Ă  ĂȘtre arrĂȘtĂ© et expĂ©diĂ© dans un camp oĂč pendant deux ans il subit les pires sĂ©vices. Quand il en sort, il reprend son activitĂ© administrative en contact avec les autoritĂ©s. Beaucoup de choses se sont passĂ©es. Le climat du microcosme est lourd, et l’arrivĂ©e d’un ˝autre˝ Ă©tranger, l’Anderer, bizarre, taiseux, artiste, dont le sĂ©jour se prolonge, met les nerfs Ă  vif. La peur et la rumeur poussent les hommes Ă  tuer l’intrus. Tout naturellement, Brodeck, qui en Ă©tait exclu, est dĂ©signĂ© pour rĂ©diger un rapport administratif sur cette affaire.   Le premier volume Ă©tait splendide. Ce second tome est tout aussi exceptionnel. Le rapport est l’occasion d’enquĂȘter sur la pĂ©riode Ă©coulĂ©e, permettre au lecteur de comprendre les Ă©vĂ©nements, et dĂ©couvrir lentement l’épouvantable vĂ©ritĂ© sur des personnalitĂ©s primaires entraĂźnĂ©es dans des pulsions collectives oĂč se mĂȘlent peurs, culpabilitĂ©s et intĂ©rĂȘts les plus vils. On n’oubliera pas l’évocation des forces capables de rendre une communautĂ© criminelle, ni du besoin d’un bouc Ă©missaire pour exorciser les actes de folie. Le rĂ©cit, qui suit fidĂšlement le plan du roman dĂ©jĂ  trĂšs sombre par lui-mĂȘme, est renforcĂ© par le graphisme de Larcenet. Avec des  encrages d’un noir intense, Ă©clairĂ©s par le blanc de la page, il joue sur l’opposition brutale N&B pour exprimer la duretĂ© des situations. Par contre il sait aussi obtenir de sensibles clair obscur grĂące Ă  des traits de plume d’une grande finesse, rĂ©ussissant Ă  exprimer de la dĂ©licatesse dans les visages rustiques ou les paysages ombrageux.(Br.A. et P.P.)