Les fleuves du ciel

SHAFAK Elif

En 640 avant J.C., Ă  Ninive sur le Tigre, une goutte d’eau annonciatrice d’orage mouille la chevelure d’Assurbanipal, Roi d’Assyrie. 2480 ans plus tard, la mĂȘme goutte tombe en flocon en bord de Tamise, sur les lĂšvres d’Arthur qui vient de naĂźtre dans une rue pouilleuse de Londres. HypermnĂ©sique, l’enfant surdouĂ© travaille dans l’édition avant de dĂ©chiffrer l’écriture cunĂ©iforme et de fouiller Ninive. En 2014, Naryn, petite YĂ©sidie de neuf ans, descend le Tigre avec sa grand-mĂšre pour ĂȘtre baptisĂ©e Ă  Lalesh en Irak sur la terre sainte de ses ancĂȘtres exterminĂ©s, tandis qu’Ă  Londres en 2018, Zaleekhah, hydrologue trentenaire aux origines mĂ©sopotamiennes, emmĂ©nage sur une pĂ©niche aprĂšs la rupture de son couple


Dans ce long, didactique et instructif roman-fleuve, Elif Shafak (L’üle aux arbres disparus, Les Notes mars 2022) entremĂȘle habilement trois histoires de vie de hĂ©ros, Ă©trangers dans leur propre pays, reliĂ©s au dĂ©part par le thĂšme de l’eau (force vitale, symbolique de vie et de voyage). TruffĂ©s de rĂ©currences, ces trois rĂ©cits, oĂč alternent le roman social dickensien, le conte oriental et l’horreur d’une chronique gĂ©nocidaire, saisissent par l’ampleur de leurs rĂ©fĂ©rences mythologiques ou Ă©cologiques. MalgrĂ© leur Ă©loignement spatio-temporel, ces « paraboles » finissent par se boucler, car telle est la magie de la littĂ©rature, comme de la divination, de rĂ©pondre « au temps des histoires », chĂ©ri par les minoritĂ©s, qui ne correspond pas Ă  « celui des horloges » . (D.M.-D. et A.-M.G.)