Tout individu aspire à un accomplissement, une plénitude intérieure. Pendant des millénaires cette quête d’absolu fut vécue dans le cadre religieux. Depuis deux ou trois siècles, au divin ont fait place des valeurs purement terrestres. Pour éclairer sa recherche de perfection, Tzevan Todorov, philosophe (Mémoire du mal, tentation du bien, NB février 2001), interroge les destinées de trois écrivains qui ont choisi librement leur projet de vie ; il fait intrusion dans leur intimité en privilégiant leur correspondance. Victimes des doctrines dualistes, manichéisme et gnosticisme, opposant radicalement matière et esprit, ils opèrent une rupture entre réalité et idéal, les amenant à négliger certaines dimensions humaines essentielles, rapport à autrui, attrait pour le bien… d’où leurs fins tragiques : déchéance physique et psychique d’Oscar Wilde, longue et douloureuse dépression de Rilke, impasse personnelle et politique de Marina Tsvetaïeva la conduisant au suicide.
Le culte du beau poussé jusqu’à supplanter l’éthique chez nos trois « aventuriers de l’absolu » amène Todorov à des réflexions subtiles, originales, sur quelques écrivains. On apprécie la pénétration de cet humaniste qui nous invite à illuminer notre quotidien de l’intérieur.