Le sacre des pantoufles : du renoncement au monde

BRUCKNER Pascal

L’essayiste Pascal Bruckner (Une brĂšve Ă©ternitĂ©, Les Notes octobre 2019) ausculte Ă  nouveau notre Ă©poque pour en souligner les dĂ©rives. Il a choisi un titre oxymorique et ironique pour Ă©pingler la propension des contemporains Ă  renoncer Ă  se frotter Ă  la complexitĂ© du monde, en restant frileusement chez soi, dans l’espace intime, douillettement chaussĂ©s de pantoufles. Pendant deux ans la pandĂ©mie a contraint l’humanitĂ© Ă  fuir l’espace public devenu soudain le lieu de tous les dangers. Au nom de la sĂ©curitĂ© et face aux peurs multiples, la « tyrannie sanitaire » est devenue la « tyrannie sĂ©dentaire » au prix d’un vĂ©ritable rĂ©trĂ©cissement des vies, y compris en amour. L’auteur recourt Ă  de nombreux aphorismes ciselĂ©s et percutants pour tenter de dessiller les yeux des Ă©mules d’Oblomov, un personnage de la littĂ©rature russe dont la procrastination et l’inaction sont emblĂ©matiques d’un Ă©tat d’esprit dĂ©lĂ©tĂšre qui risque de conduire Ă  la disparition de la civilisation occidentale. Choisir de rester chez soi, de vivre des expĂ©riences virtuelles, c’est renoncer Ă  la libertĂ© qui suppose de se confronter au risque, c’est tourner le dos Ă  l’Autre dans une posture solipsiste qui va de pair avec le refus de rĂ©sister. À l’heure du dĂ©clinisme et du catastrophisme, Bruckner salue cependant la volontĂ© affirmĂ©e, du moins en Occident, de ne pas cĂ©der au despotisme belliciste de Poutine en Ukraine mais s’interroge sur la capacitĂ© de notre Ă©poque Ă  ĂȘtre ferme et constante dans cette prise de position. Un essai brillant, riche en rĂ©fĂ©rences littĂ©raires et historiques, qui rĂ©sonne comme une vigoureuse mise en garde, au nom de la vraie vie, sur les consĂ©quences de l’inertie et du repli sur soi. (A.K. et A.Be.)