Le dernier événement

EUNSIL Yoo

Être un jour séparé de son père qui le traite avec mépris, Yongouk peut l’envisager. Être séparé de son grand-père, par contre, est inimaginable. Et pourtant, le vieil homme sent sa fin proche, il a déjà réuni plusieurs fois les siens pour de fausses alertes. L’enfant, âgé de dix ans, partage sa chambre et son intimité : il prend soin de lui, l’aide dans tous les menus gestes de la vie quotidienne, jamais rebuté. Une vraie complicité les unit : les rides et tavelures de la peau du vieillard — ses « fleurs de l’au-delà » — ont dessiné la carte des rêves du petit Yongouk ; aujourd’hui, il n’ignore rien des déceptions sentimentales de son papi au Club des seniors, ni de ses efforts cosmétiques pour paraître  fringant, depuis que sa femme l’a quitté pour « un jeune enfoiré de Japonais » ! La mort arrive, par surprise. Il est temps pour Yongouk de sortir la boîte secrète dont lui a parlé son grand-père et qui contient ses dernières volontés.

 

Dans la littérature jeunesse occidentale, il est rare de voir évoquer avec autant de réalisme la décrépitude de tous les « vénérables », entre impudeur sereine et dépendance humiliante, quand le corps se dérobe. Rare aussi de voir aborder sans dérision leurs désirs, leurs émois de « vieux ados », leurs petits arrangements avec la mort qu’on juge fantasques ou indécents. Cette approche exemplaire tient au choix du point de vue : celui d’un enfant qui n’a ni peur des mots ni aversion pour les réalités qu’ils nomment ; un enfant aimant, attentif et ingénu. C’est lui qui est au centre du récit ; c’est son regard qui nous confond et nous touche. Il nous amuse aussi, tant cette histoire d’amour entre les deux personnages est riche de trouvailles d’écriture : crudité du langage et tendresse mêlées.

 

Autre prouesse de ce roman : la moitié du texte est consacrée à la description de funérailles. Et pourtant on ne s’ennuie pas une seconde ! Le comportement des adultes au cours de la cérémonie fait l’objet de la critique sociale la plus drôle : pingrerie risible, jalousies, souci des convenances, disputes aigres-douces, tout est vu à travers le prisme du même narrateur candide qui observe, s’étonne, questionne avec l’à-propos rafraîchissant de l’innocence. Pour le suspens, le clou de « l’événement », c’est la découverte du souhait du défunt : être enterré dans une robe de femme, une sorte de « coming out » post mortem, du jamais vu !  Il ajoute, par son incongruité et les réactions qui s’en suivent, une dose d’humour réjouissante.

La poésie de l’enfance nimbe ce récit : le héros n’est pas encore entré dans l’adolescence ; le texte est tout entier imprégné de cet âge frontière où la voix et le regard muent, entre les repères du passé et les incertitudes du présent, quand se fait l’apprentissage du chagrin.