Bleu nuit

ABDALLAH Dima

Atteint d’agoraphobie profonde, terré chez lui depuis des mois, il est incapable de se rendre à l’enterrement de la seule femme qu’il ait aimé. Cette mort agit sur lui comme un déclic. Le lendemain, il remplit un sac à dos, quitte son appartement, balance ses clefs dans une bouche d’égout et se « jette à la rue » pour désormais y vivre.

Avec une extraordinaire sensibilité et puissance d’évocation narrative, Dima Abdallah, déjà remarquée pour Mauvaises herbes (Les Notes septembre 2020), décrit ici l’errance d’un quinquagénaire rattrapé par les fantômes d’un lointain passé méditerranéen qu’il a tenu jusqu’à présent à distance. Sous forme d’un monologue intérieur, singulier et émouvant, elle nous immerge, au fil de ses vagabondages dans les rues parisiennes et aux alentours du cimetière du Père Lachaise, dans son quotidien de SDF un peu particulier, soucieux de ne pas déchoir. Elle donne chair à ses rencontres – toutes féminines et toujours les mêmes – avec des vies brisées par la solitude, l’alcool, l’anorexie, le regard des autres… À travers lui, elle pose un regard plein de tendresse et d’humanité sur leurs échanges quasi-muets qui le renvoient au face à face inévitable avec lui-même et avec ses démons. Sans faire l’économie de la violence des situations qu’elle suggère en quelques lignes, elle efface la laideur, les odeurs, l’âpreté des destins par des évocations poétiques qui nous transportent vers des jardins ensoleillés aux fragrances enivrantes et transpercent le cœur de cet homme à l’âme tourmentée, si perceptible aux menus signes de fraternité universelle qui éclairent ses journées. Ce roman original parfaitement maîtrisé, à l’écriture intelligente, sensuelle et fluide, sombre et lumineux, qui remonte aux racines d’un tragique « exil volontaire », est bouleversant et confirme l’immense talent de cette auteure d’origine libanaise. (R.C.G. et M.-N.P.)