[J] La course dans les nuages, de Thibaut Vermot

En 1938, un séisme a détruit une grande partie de la ville Puerto Montt, située sur la côte chilienne. Il faut apporter une aide humanitaire. La France et l’Angleterre, par l’intermédiaire de deux pilotes, Salomé Declercq, 26 ans, et Orville Blake, la quarantaine, se lancent un défi. Qui arrivera le premier à rallier le Chili, et accessoirement à planter le drapeau de son pays pour gagner une nouvelle colonie ?

Deux épigraphes, l’une d’Antoine de Saint-Exupéry, l’autre de Jules Verne, annoncent l’aventure. Et c’est parti pour parcourir 12 660 kilomètres en 48 heures, en compagnie d’un seul coéquipier. Pour Salomé ce sera Edgar, alias Freluquet, qui n’a rien demandé !

L’auteur

Né en 1985, Thibault Vermot est professeur de français et écrivain. C’est le fils de Marie-Sophie Vermot, auteure pour la jeunesse. Il a publié six romans destinés à la jeunesse – la plupart chez Sarbacane -, dont le premier, Colorado Train, est paru en 2017.

Après avoir pris des cours de pilotage et potassé un vieux manuel d’aviation daté de 1941 consacré au Consolidated PBY Catalina, il a écrit La course dans les nuages, roman dans lequel son héroïne est aux commandes de cet hydravion produit à partir des années 1930.

Les années 1930

            Quand l’histoire croise l’Histoire

Nos héros rencontrent ou font référence à de véritables personnes. Ce sont avant tout des aviateurs, comme Saint-Exupéry, avec qui Salomé a travaillé dans l’Aéropostale aux côtés de Marcel Reine, en particulier sur le continent Sud-Américain. Mais aussi Charles Lindbergh pour son record de la traversée de l’Atlantique en 1927, Mermoz ou Guillaumet. Sans oublier les pionnières de l’aviation comme Adrienne Bolland – résistante française et première femme a avoir effectué la traversée de la Cordillère des Andes – ou Amelia Mary Earhart. Enfin Albert Londres est l’idole d’Edgar, le tout jeune journaliste coéquipier de Salomé.

            La situation géopolitique

Peu de temps avant que Salomé et Edgar n’atterrissent à l’aéroport du Bourget, le 30 septembre 1938, une foule était venue accueillir Daladier de retour de Munich où les Européens avaient cédé les Sudètes à Hitler pour tenter de sauver la paix.

Plus tard, en cours de vol, l’avion de Salomé est attaqué, sur ordre de Blake, par des Messerschmitts nazis au-dessus de l’Espagne. Edgar est un peu perdu, Salomé lui résume la situation :

« – Il va y avoir une guerre, Loiseau, dit doucement Salomé.
– Hein ? Avec les Allemands ? Mais il y a en déjà eu une !
– Au cours de l’Histoire, ça a toujours fonctionné comme ça : rien ne s’est jamais fait raisonnablement. L’Allemagne est dirigée par un cinglé. L’URSS également. Face à des cinglés, les démocraties n’ont jamais les bonnes réponses. On croit au dialogue, ils croient en l’acier. Nous ne parlons pas le même langage. »

Pour répondre aux tirs, Salomé et Edgar ont embarqué des fusils et des pistolets. On peut se faire une idée de l’enfer dans lequel nos héros sont plongé avec le film d’Howard Hugues, Les Anges de l’Enfer, sorti en 1930, et cité par Salomé. Ce film américain sur la Première guerre mondiale est considéré comme l’un des tout premiers films d’action du cinéma parlant.

Enfin, dans les dernières pages on apprend que Blake a fait alliance avec Ribbentrop, l’ambassadeur d’Allemagne au Royaume-Uni, afin de s’emparer de l’avion de Salomé qui intéresse l’État-Major allemand.

            Les décors

Et d’abord les avions : ceux de l’Aéropostale, le Boeing 314 Clipper de Blake, les terrifiants Messerschmitts et Zeppelins. Sur terre, les personnages se déplacent en voiture : Edgar admire une Maybach Zeppelin, luxueuse automobile des années 1930, et Salomé conduit un Cabriolet Delahaye.

Mais au-delà, toutes les références aux années 30 sont soignées pour qu’on puisse se mettre dans l’ambiance. Que ce soit avec les fauteuils dans lesquels les héros s’installent dans les Clubs qu’ils fréquentent (les confortables Chesterfield), les jeux de société (le Monopoly, inventé en 1904), les romans (Le Mystère de la chambre jaune ou Mary Poppins), ou encore la presse qui couvre la course : l’hebdomadaire News of the World pour le Royaume-Uni, et côté français le quotidien Paris-Soir, fondé en 1923.

Enfin le jazz est en fond sonore, en particulier avec la chanson Bei Mir Bist Du Schein des Andrews Sisters que les héros entendent à la radio. Diffusée dès 1938, cette version a connu un succès international.  

Des héros audacieux et sympathiques

Salomé et Edgar, qui ne se connaissaient pas au début du roman, ont tous deux une revanche à prendre sur la vie. Ce qu’ils sont, ils le doivent à eux-même, à quelques belles rencontres, et surtout à beaucoup d’audace. Ils ont quitté leur foyer à 16 ans. Salomé est partie de Paris pour Toulouse afin d’apprendre à réparer un moteur, condition indispensable avant de pouvoir prendre les commandes d’un avion. Pour cela, elle se cache sous des habits de garçon. Edgar a quitté Limoges pour Paris et ne pas avoir à travailler avec son père, charpentier.

Salomé Declercq a perdu ses parents très jeunes. Elle veut devenir pilote et rien ne l’arrête. Surtout pas le fait d’être une femme.

«Les règles ne sont-elles pas faites pour être bousculées ?»

Elle adore gagner, si bien que quand le pari semble perdu elle veut encore y croire.

«Qui peut dire « Nous avons perdu » avant d’avoir atteint la ligne d’arrivée… ?»

Salomé est douée, téméraire, volontaire. Elle ne cède jamais à la panique et sait répondre aux coups aussi bien verbalement que par les armes.

Arrivé à Paris, Edgar Loiseau commence par vendre des journaux à la criée tout en s’entraînant à écrire des articles. Il réussit à se faire engager à Paris-Soir et devient Envoyé spécial.

«Je veux être un grand journaliste …  non, je serai un grand journaliste. Mais il me reste du chemin à parcourir».

À 18 ans, il maîtrise parfaitement le stylo, il fait mouche avec des phrases allant à l’essentiel. Il dessine aussi (il vend ses caricatures au Canard enchaîné) et fait des photos avec son Rolleiflex. Mais pour survivre à cette aventure, le jeune homme doit très vite faire preuve d’autres qualités : savoir lire les cartes, tenir les manettes de l’avion et manier un manche de mitrailleuse…

Timide et un peu naïf au début du roman, le jeune Freluquet prend de l’assurance au fur et à mesure de l’aventure. Il s’avère un compagnon solide et fiable.

À eux deux, Salomé et Edgar sont les rois du pilotage et de l’écriture. Saint-Exupéry, lui, faisait les deux tout seul !

Puerto Montt

Au début du XXème siècle, on commençait tout juste à comprendre les causes des tremblements de terre. Blake demande à un professeur de l’université de Durham d’expliquer à Salomé le phénomène. Il lui parle de Charles Richter qui a établit en 1935 une échelle pour mesurer numériquement l’intensité des séismes.

Arrivé à destination – après Blake – Salomé réussit à se poser, mais la situation est désastreuse. La terre s’est ouverte et une grande partie de la ville a glissé au fond du trou. Au loin le volcan Calbuco crache des geysers de flammes. Pourtant le plus dangereux n’est pas de ce côté là : Blake et les nazis ont décidé d’exécuter nos héros afin de prendre possession de leur avion.

«Laissons-les crier leur victoire dans le désert. Nous aussi, d’une certaine façon, nous avons gagné. Nous sommes vivants».

Un roman de haut vol !

Ce roman se déroule dans un temps très court, une quinzaine de jours. Mais des jours qui comptent triple, sans sommeil ou si peu, jamais à l’abri d’une panne, d’un accident, d’un sabotage, d’une trahison ou d’un assassinat. 311 pages de pure adrénaline. Un grand roman d’aventure, en compagnie d’un duo extrêmement sympathique, qui nous laisse le souffle coupé.

Aline Eisenegger, lectrice comité jeunesse

Pour aller plus loin

Une sélection de romans de Thibault Vermot :

Colorado Train. Sarbacane, Exprim’, 2017
La route froide. Sarbacane, 2019
Thibault Vermot a également signé deux nouvelles traductions intéressantes de classiques anglais, toujours chez Sarbacane : L’homme à la lèvre tordue, d’Arthur Conan Doyle, en 2020 et Le Livre de la jungle en 2022

Quelques titres sur l’aviation au début du XXème siècle :

Timothée de FOMBELLE, Vango. Gallimard Jeunesse, 2013. Ce volume réunit les deux tomes publiés séparément en 2010 et 2011 : Entre ciel et terre (première édition sous le titre Vango) et Un prince sans royaume (Vango; 2)
Fabian GRÉGOIRE, Les disparus de l’aéropostale. L’Ecole des loisirs/Archimède, 2000
David MARCHAND et Guillaume PRÉVÔT, L’Aéropostale : le courrier doit passer ! ill. de Julie Guillem. Milan, 2020
Sandrine BEAU, La cascadeuse des nuages. Alice, 2019.