Si tout n’a pas péri avec mon innocence

BAYAMACK-TAM Emmanuelle

La mère, née avec un affreux bec-de-lièvre, a été appelée Gladys pour vexer la sage-femme ainsi prénommée. Assez bien opérée, elle ne doute pas de son sex-appeal et son narcissisme est colossal. Le père, tatoueur, n’a aucune autorité. Leur troisième fille, Kim, distille le récit des turpitudes familiales ; à l’incompétence pathologique illimitée des parents s’oppose son propre appétit pour la vie, le sexe, Hugo et surtout Baudelaire. Quand l’un de ses petits frères, souffre-douleur de l’école, en arrive à se pendre, tout bascule ; abandonnant son fougueux amant, Kim retrouve la sage-femme devenue prostituée et décide de vendre ses charmes pour payer ses études… Spécialiste des relations familiales ambivalentes (Une fille de feu, NB août-septembre 2008), l’auteur porte sur ce monde un regard perçant et stigmatise allégrement l’irresponsabilité et l’indifférence de certains parents, si dangereuse pour les plus fragiles. À l’absence d’amour maternel répond la souffrance des enfants mal-aimés. La narratrice – ses deux soeurs aînées font d’elle une Cendrillon sans résignation – incarne avec justesse l’espoir de l’adolescence et la fureur de vivre. Le style très percutant transfigure les catastrophes par l’ironie et, imprégné de littérature, s’épanouit dans des excès qui n’évitent ni les répétitions ni un vocabulaire très cru.