Parabole du failli

« Pourquoi, Pedro, t’es-tu jeté du haut du 12ème étage ?» Le narrateur s’adresse à celui qui les a quittés : Pedro, comédien en passe d’être connu, mal accepté par une famille conformiste, semeur de mots aimant réciter des poèmes dans les rues, mais pas les siens, ceux de Beaudelaire, Neruda ou Éluard… Pedro, l’Estropié prof de maths à la jambe gauche trop courte, et lui le petit pigiste formaient un trio d’inséparables aussi différents qu’indépendants. Ils partageaient deux petites pièces, leur « bateau ivre », dans un quartier populaire de Port au Prince, soucieux de verbe, taiseux ou prolixes sur eux-mêmes et sur le monde des hommes… La description de ce quartier rend bien l’ambiance de solidarité des habitants avec leurs caractères bien typés et généreux (La Belle Amour humaine, NB septembre 2011). Sévère avec les notables, indulgent avec les petites gens, Lyonel Trouillot n’est pourtant pas manichéen. Émouvante dans le portrait d’une usurière plus charitable qu’elle n’en a l’air, subtile pour dire le mal être, le désamour, la mort, la pudeur, l’amour ou l’amitié, poétique, riche de citations, toujours imagée, sa langue gourmande de mots raconte aussi leur pouvoir et leur impuissance. Un hommage et un cri poignants.