Le corbeau qui m’aimait

BARAKA SAKIN Abdelaziz

Partis du Soudan, deux amis d’enfance ont emprunté la périlleuse ”Route des fourmis” à travers l’Europe pour gagner l’Angleterre. Parvenus à Calais, ils sont retenus dans la sinistre Jungle. Pour en sortir, Nouri se résigne et obtient l’asile en France, tandis qu’Adam s’obstine. Il veut traverser la Manche, faire des études à Oxford et devenir professeur de linguistique. Ils se séparent. Quelques années plus tard, Nouri voyage en Autriche et reconnaît Adam qui mendie devant la gare de Graz. Visiblement il n’a plus toute sa tête. Nouri veut savoir ce qui lui est arrivé. Il part à la recherche des quelques personnes qui ont croisé la route de celui qu’on a surnommé Adam “Ingiliz” : l’Anglais.

L’écrivain soudanais choisit une narration posée, sage, pour faire contraste avec le malheur absurde, injuste et triste de ses personnages que le lecteur devine, hors texte. Sans les expliciter vraiment, le roman dit la déshumanisation des migrants, la précarité, la fragilité de la santé mentale face aux traumatismes, et la complexité des relations humaines dans des conditions extrêmes. Certaines situations sont presque burlesques, comme la tentative de traversée en montgolfière, d’autres poignantes (une histoire d’amour sans espoir, une fin solitaire, un corps veillé par des corbeaux). Deux beaux personnages de femme réconfortent successivement et brièvement le réfugié qui connait par cœur Le Corbeau, le poème d’Edgar Poe. Subtil et sensible. (T.R. et C.B.)