La Terre sous les ongles

CIVICO Alexandre

L’homme roule de Paris vers le sud, dans une berline volĂ©e, le coffre encombrĂ© d’un lourd colis Ă©nigmatique. Aires d’autoroute, arrĂȘts obligatoires, changement de voiture avant la frontiĂšre espagnole, et toujours ce paquet ballottant. Les souvenirs cahotent aussi
 Celui du voyage inverse, il y a des dizaines d’annĂ©es, de son pĂšre espagnol fuyant le franquisme, ouvrier Ă©migrĂ© qui ancre sa famille en banlieue parisienne. Le conducteur revoit ce parcours difficile : Ă  chaque installation, sa langue maternelle s’hybride, puis s’efface devant la langue des livres, des Ă©tudes, qui signent une implantation dans le monde bourgeois dominant. À Cadix, berceau familial, s’arrĂȘte le voyage, on dĂ©pose les fardeaux
 La place de la langue dans la construction d’un individu est le vĂ©ritable sujet de ce premier roman violent, charnel, Ă  l’écriture « coup de poing », aux images obsĂ©dantes. Quand il se parle Ă  lui-mĂȘme, le narrateur se dit « tu » : il s’apostrophe, se dĂ©stabilise ; cela rĂ©vĂšle la permanence de la terre espagnole sous ses ongles policĂ©s par l’éducation française, malgrĂ© l’oubli de sa langue maternelle. Cette dualitĂ© habite l’homme Ă©cartelĂ©, tourmentĂ©, qui livre dans ce trĂšs court opus aux mĂ©taphores oppressantes la douloureuse, mortifĂšre et culpabilisante recherche de son identitĂ©. (A.C. et C.Bl.)