Destins piégés

SAPIENZA Goliarda

Une femme dort, s’extrait du monde, immobile des jours durant, sans explication ; une autre se suicide par peur que la mort ne la surprenne « dans le noir » ; une autre, comblée par la vie, devient étrangement une « vieillarde » en très peu de temps ; d’autres vivent quasiment recluses dans des univers familiaux oppressants et silencieux ; une fillette tue le père qui la viole ; une femme en prison raconte simplement qu’elle a tué deux amies en jouant avec des allumettes. Évidemment, certaines « naissent chanceuses, d’autres malchanceuses » …

Ces textes courts de la fin des années 50 sont les premiers écrits de Goliarda Sapienza (1924-1996). L’étrange, l’obsessionnel, la folie s’invitent dans l’ordinaire du quotidien, insidieusement ou brutalement. L’angoisse, le sommeil, la mort, le rapport au corps, le miroir et son reflet, les perversions de l’amour, l’enfermement réel ou mental, la famille comme lieu clos et névrotique, en constituent les thèmes récurrents. Le style direct, cru et sans ellipse, va au cœur du propos qui claque comme un constat. S’y trouvent déjà les thèmes de son grand roman qu’est l’Art de la Joie, des destins souvent empêchés mais s’obstinant à être, sans regrets, sans remords, sans culpabilité. Brillant ! (M.-T.D et E.M)