Cheyenn

EMMANUEL François

Pendant le tournage d’un documentaire sur les sans-abri, le narrateur filme la silhouette, puis le visage d’un homme corsetĂ© dans des sacs plastiques. Son pauvre et risible accoutrement rappelle vaguement la tenue d’un Indien d’AmĂ©rique. Cheyenn, quelques mois plus tard, est retrouvĂ© mort sur son lit de fortune, dans la pĂ©nombre d’une filature dĂ©saffectĂ©e. Le cinĂ©aste regrette alors de n’avoir pas su rencontrer le marginal dont il ne reste presque rien, hormis ces quelques secondes d’images. Il chemine sur les pas de l’errant, retrouve des traces infimes et mesure, Ă  rebours, l’extrĂȘme solitude, la fragilitĂ©, le dĂ©sespoir d’un ĂȘtre qui tentait silencieusement, en s’inventant un personnage, d’exister au regard des autres.

 

À travers le dĂ©sir du rĂ©alisateur de rendre Ă  Cheyenn son identitĂ© et sa part d’humanitĂ© profonde, se dĂ©ploie l’Ă©tendue de nos indiffĂ©rences. Sans ĂȘtre nommĂ©e, la ville traversĂ©e par un fleuve ressemble Ă  d’autres grandes villes, oublieuses de leurs friches industrielles, tunnels, dessous d’autoroutes, oĂč survivent des ĂȘtres dĂ©socialisĂ©s, maintenus Ă  l’Ă©cart. François Emmanuel, cependant, ne donne pas de leçon. Il sonde avec pudeur (cf. Le vent dans la maison, NB octobre 2004) la misĂšre morale des laissĂ©s-pour-compte et, dans une Ă©criture dĂ©licate et poĂ©tique, offre un court roman poignant.