Une ville amĂ©ricaine au bord d’un grand lac. Cleveland, peut-ĂȘtre. Un homme qui est restĂ© absent de nombreuses annĂ©es arrive Ă la gare routiĂšre. Il ne reconnaĂźt pas grand-chose. Sans ressources, il s’installe dans un logement infestĂ© de cafards, dĂ©cide de ne faire que deux repas par jour petit dĂ©jeuner compris, s’inscrit dans une agence pour l’emploi. Il est embauchĂ© dans une Ă©choppe de serrurier tenue par deux frĂšres syriens. Sa formation sur le tas commence. Il repart de zĂ©ro.
Dans ce premier roman Ă©crit en 2003, il y a dĂ©jĂ la narration atypique et troublante de l’auteur de Ordure (2022). Ellipses et non-dits laissent souvent le lecteur entre plusieurs interprĂ©tations qui sont levĂ©es quelques pages plus loin, ou pas. Eugene Marten rĂ©siste Ă l’explication du psychisme de son personnage. Il reste longtemps dans la description clinique d’une rĂ©alitĂ© froide et sombre, quotidienne : le narrateur tout juste sorti de prison s’absorbe, s’oublie dans son travail manuel, technique, prĂ©cis. Au lecteur de dĂ©crypter â si il y tient â les significations mentales de toutes ces clĂ©s, serrures, portes Ă ouvrir. Peu Ă peu, l’apprenti serrurier reprend pied dans la sociĂ©tĂ©, dans une ville qui prĂ©sente comme lui des stigmates de violence, de dĂ©chĂ©ance et de perte. Sans mĂ©taphores, l’Ă©criture de Marten façonne lentement l’histoire, le personnage. Ensuite, comme on fait avec un double de clĂ©, il faut essayer, tĂątonner, jusqu’Ă l’enclenchement qui dĂ©voile enfin ce qui hante le narrateur. Puissant. (T.R. et N.B.)
