Un été fabulissime (3) : Le fabuliste et les arts nouveaux

Fin XIXe, début XXe siècle : période de transition dans l’interprétation en images des Fables de La Fontaine ? Quittant le registre de la gravure en noir et blanc, elles s’habillent de couleurs – influence de Gustave Moreau ? Le principe de la vignette unique cède quelquefois la place à la cohabitation de plusieurs scènes sur une même page. Ce nouveau rythme semble davantage adapté à la lecture des enfants, désormais destinataires privilégiés de recueils réunissant, la plupart du temps, un petit nombre de fables, parmi les plus connues.

En 1880, Maurice Boutet de Monvel (1850-1913), publie La Fontaine. Fables choisies pour les enfants, un album de format oblong. Sous la couverture parsemée de fleurs stylisées, on retrouve son graphisme à l’esthétisme symbolisant : scènes dépouillées, rigueur de la composition. Les images détourées voisinent rigoureusement les textes qu’elles illustrent en couleurs douces où abondent les gris, les bruns, les jaunes pâles… Elles ont un charme bien désuet, une naïveté propre à séduire les enfants dans ces scènes très lisibles qui accompagnent les prémices de la bande dessinée.

Incontestablement, il est l’un des meilleurs interprètes des textes de La Fontaine. Déjà connu pour ses dessins animaliers, Benjamin Rabier (1864-1939) s’attaque à ce qui sera son oeuvre majeure publiée en 1906 : l’illustration de 240 Fables de La Fontaine selon les textes originaux du XVIIème siècle. S’il maintient la présentation d’une fable par page, il donne à la notion de vignette une nouvelle dimension et s’approche davantage encore des principes de la bande dessinée. Une image centrale et trois à cinq petites vignettes associées animent l’histoire. Son dessin animalier fait merveille, et traduit sa connivence avec le sens de la comédie humaine du fabuliste. Respectant la morphologie animale, B. Rabier joue sur tous les registres de la caricature. Face craintive, rictus sournois, sourire sarcastique, œil moqueur, corps épuisé : les faciès aux multiples nuances des expression humaines soulignent avec perspicacité l’ironie sous-jacente des Fables, souvent occultée. Un régal, un maître dans un style autre que Gustave Doré.

André Hellé (1871-1945) publie à son tour en 1922 les Fables de la Fontaine. Retour à une présentation plus classique : sur une seule page, une ou deux vignettes s’accrochent au texte.  Dans son style très particulier, les personnages humains et animaux prennent des allures de jouets de bois colorés. Les angles de vue originaux qu’il privilégie évoquent les plans cinématographiques. Contemporaine du modernisme des années 20, son interprétation des Fables en offre une vision figée, rigide, loin du trait humoristique d’un Rabier.

Sept années plus tard, paraissent trois volumes de Fables illustrées par Félix Lorioux (1872-1964). Comme dans son Buffon des enfants, l’influence de l’art nouveau se fait sentir dans l’exubérance du trait, dans une représentation luxuriante du décor naturel et des animaux. Verts, bleus, rouges et orangés sont vifs, les attitudes espiègles, le tout virevolte et respire une certaine joie de vivre. Mais si l’on ne s’ennuie pas en observant les scènes, on n’y retrouve pas vraiment l’esprit originel des Fables.

Influence japonisante, Art Nouveau, Art Moderne, … Durant cette période, l’illustration des Fables allie appropriation par un artiste et tendances artistiques du moment, plus ou moins évidentes selon les choix personnels. L’explosion des couleurs, liées au développement de l’illustration pour enfants au début du XXe siècle, et un curieux mélange de sagesse et de jovialité donnent alors aux Fables une double tonalité moralisante et joyeuse.

(À suivre…)

Muriel Tiberghien

Louis-Maurice Boutet de Monvel (1881-1949) : Fables choisies pour les enfants ; un choix de 26 fables, Plon, 1888
Benjamin Rabier (1864-1934) Fables de La Fontaine illustrées par Benjamin Rabier, Tallandier 1907 et 2004
André Hellé (1871-1945), Fables de La Fontaine, Berger-Levrault, 1922 et 1949
Félix Lorioux (1872-1964), Fables de La Fontaine, ill. par Félix Lorioux, éd. Hachette, 1927