[J] La méduse géante de l’Arctique, de Chloé Savage

Embarquement pour l’Arctique !

L’album commence, comme pour une pièce de théâtre, par un préambule en trois pages. D’abord une carte géographique pour situer le lieu : l’Océan Arctique au point le plus au nord de la planète. Ensuite le moyen de transport et les membres de l’expédition : un bateau rouge à quatre niveaux, et treize personnes sagement alignées devant le bateau, toutes de rouge et de blanc vêtues avec des pulls aux motifs nordiques. Enfin l’équipement : les vêtements (pantalon, salopette, pull, doudoune, anorak, chaussettes, bottes, bonnet, moufles, lunettes de soleil… – on voit Dr Marley qui empile toutes ces couches à la page suivante), sans oublier la brosse à dents, la vaisselle et les chargeurs ; le matériel enfin (combinaisons de plongée, palmes, caméras sous marines, jumelles, épuisettes…). Tout est en place, bien ordonné, l’aventure peut commencer.

Ce n’est pas un documentaire, même si cette expédition frôle avec le réel. Dr Marley, une femme scientifique passionnée par les méduses, rêve de rencontrer la méduse géante de l’Arctique, celle que personne n’a encore jamais vue. Durant des années elle cherche, se documente, fait des expériences et prépare une expédition. Le jour d’embarquer est enfin arrivé. La voici qui monte à bord du bateau, accompagnée de toute son équipe. Au cours de cette longue traversée dans les mers glaciales l’équipe – et donc le lecteur – peut admirer la faune et les paysages grandioses du Grand Nord.

La méduse géante, mythe ou réalité ?

Les méduses font partie du plancton et sont des animaux très anciens. Elles sont élégantes avec leurs bras flottants comme des rubans parmi des centaines de tentacules, sous une ombrelle transparente en forme de chapeau. Il y a plusieurs centaines d’espèces de méduses. Les plus petites ne mesurent que quelques millimètres de diamètre ; quant à la plus grande observée à ce jour, la Cyanea capillata ou méduse à crinière de lion, elle mesurait 37 mètres de long, avec une ombrelle de plus de deux mètres de diamètre et un poids de plusieurs centaines de kilos.

La méduse de Nomura, l’une des plus grosses de l’océan

Mais pas de méduse à l’horizon pour les membres de l’expédition. Ils croisent en revanche des narvals, des bélugas, des orques, un phoque, un ours blanc… Mais le lecteur a une toute autre vision. De sa place privilégiée, il voit très bien la facétieuse méduse qui s’obstine – par jeu ou par timidité – à se cacher des scientifiques. Dans la vie des explorateurs c’est souvent le cas, ils ne voient pas ce qu’ils cherchent alors que c’est à côté d’eux. On pense à l’anecdote rapportée par Sylvain Tesson dans son livre La panthère des neiges (Gallimard, 2019). Le photographe Vincent Munier n’avait encore jamais vu la panthère des neiges avant son expédition avec Sylvain Tesson. Or, en développant des photos prises deux ans auparavant, il découvre sur un cliché la panthère qui le regarde !

Des paysages grandioses

L’expédition longe un gigantesque mur de banquise et contourne des icebergs au-dessus et au-dessous de la mer. Elle assiste aussi à une somptueuse aurore boréale comme on peut en observer la nuit dans le Grand Nord.

Les lecteurs font ainsi connaissance avec un milieu peu exploité dans les albums jeunesse, le Grand Nord et ses animaux qu’on ne voit pas ailleurs, dans des paysages grandioses, uniques au monde.

La vie à bord d’un bateau d’exploration

Ils sont treize à bord. Il y a le capitaine, reconnaissable à ses moustaches à la Dali. Lui a droit à une cabine privée avec un lit à baldaquin. Et puis le cuisinier, coiffé d’une grande toque blanche. Enfin l’équipage, les plongeurs et les scientifiques. Eux dorment en bas du bateau, dans des dortoirs avec des lits superposés. On comprend comment s’organise la vie à bord grâce à des vues en coupe du bateau. On mesure la routine qui s’installe au fil des longs jours de navigation : les jumelles à la main il faut scruter l’horizon,  plonger dans la mer glacée, et chaque jour prendre son tour dans la file pour se doucher. Parfois la fatigue se fait sentir.

Patience et longueur de temps

Dr Morley rêve de rencontrer la méduse géante depuis qu’elle est petite. C’est un projet de toute une vie. Il a fallu des années de patience et d’études avant d’embarquer. Une fois sur le bateau la route est encore longue, et arrivé dans l’Arctique, la recherche ne donne rien. Pas de méduse qui pointe son nez. L’épuisement de l’équipe se fait sentir, l’espoir s’amenuise, le doute s’installe… Il faut faire demi-tour. Quand soudain, qui fait au-revoir ? On ressent bien dans cet album le temps qui passe, la persévérance et l’espoir qui sont des moteurs puissants dans la recherche. Enfin, ce n’est pas si fréquent, cet album met à l’honneur une femme scientifique.

L’auteure

Chloé Savage est anglaise, elle vit à Hitchin, au Royaume-Uni. Son premier métier, avant de se lancer dans les livres pour les enfants – cet album est son premier livre – est de créer des décors pour le cinéma, la télévision ou l’opéra. Ce travail n’est sûrement pas étranger à la mise en scène de ce livre où tout a du sens. Et en premier lieu les couleurs : du rouge pour tout se qui se rapporte à la Terre et à l’Homme, du bleu pour la mer, du blanc pour la glace et du vert pour le spectaculaire. L’album joue essentiellement avec ces trois couleurs et ce grand blanc, ce qui donne une atmosphère chaleureuse. 

Un album joyeux et réconfortant

De la joie, le lecteur en aura beaucoup. D’abord avec le plaisir de voir ce que les scientifiques ne voient pas dans un habile jeu de cache-cache. De l’aventure ensuite avec cette expédition hors norme. Et du réconfort enfin, puisque la mission s’achève avec un au-revoir sous la forme d’un timide « coucou » de la méduse qui ose enfin se montrer ! Une vraie invitation à croire en ses rêves, même les plus fous. Quoi de plus stimulant pour les enfants qui ont très souvent un petit explorateur qui sommeille en eux !

Aline Eisenegger
Comité Lecture Jeunesse

Chloé SAVAGE, La méduse géante de l’Arctique. Albin Michel Jeunesse, 2023

Pour aller plus loin

  • Kate Banks, Comment trouver un éléphant, ill. Boris Kulikov. L’École des loisirs, 2019.
    Un jeune explorateur part à la recherche d’un éléphant. Un narrateur le conseille, l’explorateur cherche en vain, quant au lecteur il voit très bien l’animal recherché. Album à partir de 3 ans.
  • Arthur Conan Doyle, La crinière du lion, in Nouvelles policières, t. 1 : Le crime n’est jamais parfait. Flammarion, 2015, (Étonnants classiques).
    Une nouvelle de Sherlock Holmes dans laquelle un homme est retrouvé sur une plage, agonisant. Il a le dos strié de lignes rouges, on pense donc qu’il a été battu à mort. Or ses cicatrices sont dues à la piqure d’une méduse à crinière de lion. Nouvelle à partir de 11 ans.
  • Lucia Simion, ill. Philippe Mignon, A la rencontre des animaux des pôles. Belin Jeunesse, 2013
    Un vocabulaire simple et adapté, avec des schémas, des cartes et des photographies pour montrer la vie aux pôles. Documentaire à partir de 9 ans.
  • Jean-Baptiste de Panafieu, Alexandre Franc, Extinctions : le crépuscule des espèces. Delachaux et Niestlé/Dargaud, 2021
    Une journaliste accompagne une équipe de scientifiques en Arctique. Bande dessinée documentaire à partir de 11 ans.
  • Nathaniel Legendre et Luca Blengino, ill. Katia Ranalli, Anita Conti : océanographe. Soleil, 2020, Pionnières
    Anita Conti (1899-1997) a été la première femme océanographe. Elle était chroniqueuse scientifique et a dénoncé la surpêche et alerté sur la dégradation des océans. Un des rares ouvrages jeunesse mettant à l’honneur une femme scientifique et exploratrice. Bande dessinée documentaire à partir de 11 ans.