Les mots peints

LECAYE Emmanuel, MAJEWSKI Marc

Un grand loup noir, seul dans la prairie fleurie, fixe l’horizon ; un ours brun dressĂ© sur ses pattes arriĂšre installe acrobatiquement la derniĂšre tourelle d’un chĂąteau-fort multicolore ; sur son rocher au milieu de l’ocĂ©an, le petit pingouin agite sa main en signe d’adieu vers un bateau rouge, au loin ; l’escargot jaune portant sur son dos sa maison bleu et rose trace sa route ; tĂ©mĂ©raire, le crocodile vert s’élance du plongeoir jaune dans l’eau bleue de la piscine
 Et, tout Ă  la fin, le cheval rouge file Ă  vive allure, criniĂšre noire au vent, vers une destination hors champ.

Tout droit sortis du bestiaire des enfants, la girafe, l’élĂ©phant, la tortue et les autres, peuplent cet imagier, en page de droite d’un album cartonnĂ©. ExceptĂ© les quatre canetons qui suivent leur maman, ils sont IsolĂ©s ou vont par deux. L’anthropomorphisme est de mise pour doter chacun d’un comportement « humain » aussi improbable que drĂŽle ! Ainsi trois souris aux oreilles roses font trempette dans la grande tasse de cafĂ© qui leur tient lieu de piscine. Chaque image, vingt en tout, est un tableau ! De l’un Ă  l’autre, un mĂȘme choix de simplicitĂ© des lignes : des horizontales partagent harmonieusement les paysages entre ciel et terre en espaces de couleur auxquels le pinceau donne de la profondeur ou de la transparence. L’oeil va droit au personnage grĂące Ă  une mise en scĂšne Ă©purĂ©e, sans dĂ©tails superflus, simplement dĂ©coratifs, qui seraient susceptibles de disperser l’attention. L’image est efficace et belle !

Sur la page de gauche, un « mot peint », un verbe Ă  l’infinitif et en couleurs la prĂ©cĂšde, l’introduit ou la commente. Ni abĂ©cĂ©daire ni imagier thĂ©matique, comment s’organise cet album ? Les verbes dĂ©signent tantĂŽt une activitĂ© de l’esprit comme « rĂ©flĂ©chir », tantĂŽt des activitĂ©s oĂč le corps Ă  sa part comme « nager », ou encore celles qui supposent un partenaire comme « se retrouver », d’autres enfin comme « arroser » oĂč la relation Ă  l’environnement s’impose. Registres mĂȘlĂ©s de l’abstrait et du concret, au petit bonheur la chance ?

Comment s’opĂšre le va-et-vient entre les deux pages ? Par une libre association entre la puissance suggestive de l’image et la richesse du verbe ; le regard s’y prĂ©cise en mĂȘme temps que le lexique. Le choix de l’infinitif, au lieu d’un sujet-verbe Ă©largit le champ des interprĂ©tations : « rĂȘver » inclut plus de rĂȘves et de rĂȘveurs que ne le ferait « il rĂȘve ». Vert ou rose ou bleu sur la page blanche, une couleur empruntĂ©e au tableau associĂ©, le mot sonne juste ! Pouvait-on imaginer plus parfaite connivence ? (A.-M.R. et C.B.)